L'aventure de l'autre côté des mers...

Les retours à terre étaient souvent annonceur d'allégresse. Chacun savait qu'il allait pouvoir se reposer à son envie, se délasser selon ses choix, dépenser ce qu'il avait amassé pendant les longues semaines en mer. Et puis, ici, c'était leur port d'attache, ils y avaient leurs habitudes, leurs privilèges... Oh, bien sur, lorsque l'heure viendrait de retourner en mer, il n'y en aura pas un pour rester sur le quai. C'était des pirates, des marins, ils avaient l'océan dans le sang... mais pour l'heure, l'annonce d'un séjour sur la terre ferme les avait tous mis de bonne humeur.

Peut-être un peu moins pour le Second, J.J. Loyd, fidèle bras droit de la Capitaine qui lui avait confié la responsabilité du navire à peine ce dernier au mouillage. L'homme connaissait la raison pour laquelle la jeune femme avait décrété un hivernage, et il ne pouvait s'empêcher d'être inquiet. Loyd, sous ses airs rudes, éprouvait une tendresse paternelle envers celle qu'il appelait affectueusement de divers surnoms. C'était bien là un point commun avec la sévère Hortense, qui elle aussi semblait toujours s'adoucir au contact de la jeune femme. Et ce jour là, celle qui avait la charge des protégés de Red dans la grande bâtisse de la Butte, la Hunauday, était tout comme Loyd, inquiète pour la jeune femme, et le voyage en solitaire qu'elle s'apprêtait à mener.

La journée s'était écoulée à son habitude, Red Jack profitant de ses premières heures à terre pour visiter les enfants du domaine, puis les laissa retourner en classe et en profita pour préparer les affaires nécessaire à son départ. Rien de plus qui ne pouvait entrer dans un simple sac de toile, elle qui souhaitait voyager léger. Quelques vêtements, deux-trois livres pour passer le temps, un peu d'argent... et la lettre. Cette lettre qui précipitait son départ.
Lorsque la jeune femme termina son sac, elle entreprit de modifier son apparence, préférant éviter la rumeur du départ de la Capitaine Red Jack... Teintant ses cheveux blonds si reconnaissable de manière à les assombrir, s'habillant avec des vêtements d'homme. Bien sur, ce n'était pas la première fois qu'elle portait chemise et pantalon, mais cette fois-ci elle les avait choisis de manière à ce qu'ils dissimulent réellement sa féminité... Sans compter qu'ils avaient meilleurs allures que les vêtements de pirates habituellement portés. Sans paraître prince ou lord, elle gagnait tout de même une prestance avec notamment la veste bien coupée, qui la rapprochait plus des nobles que des serviteurs.

Quittant sa chambre ainsi vêtue et chargée, elle regagna le seuil de la demeure, sur le départ. Hortense l'attendait là, un paquet de vivres préparé avec la tendresse d'une mère qu'elle aurait pu être. Elle avait beau se tenir droite et digne, il n'était pas difficile de percevoir l'inquiétude qui se reflétait dans son regard.
- Tenez Mademoiselle, de quoi vous restaurer en chemin.
Red l'avait remercié d'un sourire, attrapant le paquet pour l'ajouter à son sac, et ouvrait déjà la porte du manoir.
Dehors la nuit tombait, pénombre bienvenue pour un départ furtif parmi les ombres. La lune, si elle éclairait suffisamment le chemin pour le voir, était néanmoins trop faible pour percer à jour le déguisement de la jeune femme, qui était ainsi assurée de quitter les lieux en toute discrétion.

- Merci pour tout, Hortense.
- C'est le moins que je puisse faire... prenez soin de vous, Mademoiselle. Je n'ose imaginer les risques que vous allez prendre, sans personne à vos côtés...
- Et bien, là où je vais, on me croit morte. Cela serait tout de même regrettable que je meure une deuxièm...
-Oh, Mademoiselle, ne tentez pas le sort !
- Ne craignez rien Hortense, je serais prudente.
Même si cette promesse ne semblait lui convenir qu'à moitié d'après sa mine pincée, Hortense consentit à souhaiter un bon voyage à la jeune femme, ainsi que tous ses encouragements chaleureux pour la réussite de sa mission.
Red Jack acquiesça, lui faisant promettre de son côté de bien veiller sur les enfants, et de ne pas hésiter à se tourner vers J.J. Loyd si le besoin s'en faisait sentir.

La jeune femme hésita, puis attrapa finalement dans ses bras celle qui répugnait tant à la voir partir, la serrant brièvement contre elle. Par ses adieux qui montraient plus de tendresse et d'attachement que d'ordinaire, il était évident que le voyage s'annonçait plus incertain que les habituelles virées en bateau.
Et puis, d'un dernier signe de tête pour la saluer, Red Jack s'éloigna d'Hortense, sac glissé sur l'épaule. Traversant le parc de la Bâtisse de la Butte, franchissant le portail dont les grilles étaient restées ouvertes, , la jeune femme partait.
Sa silhouette assombrie par ses cheveux teintés couleur d'Encre resta perceptible quelques instants encore du regard mélancolique d'Hortense, restée sur le seuil de la Hunauday. Et puis, bientôt, la mince jeune femme semblait avoir été happée par la nuit, et disparut du champ de vision de l'habitante du manoir, qui ferma alors la porte en soupirant.

Red Jack était en route.
Pour un nouveau voyage.
J.J. Loyd et Hortense n'avaient qu'un seul espoir, qu'elle revienne.


- post 3 juillet 2023-

Contrairement au reste de l’équipage, Dylan n’avait pas été ravie de retourner sur la terre ferme. Elle vivait pour la mer, celle qui lui avait chanté des sons doux dès son enfance ; et depuis qu’elle l’avait emporté, c’était comme si un puissant ressac l’empêchait de retourner sur la rive.
Pourtant Dylan savait que l’hivernage était nécessaire pour la réparation et l’entretien de la frégate et où de mieux qu’au port d’attache de la Dame Rouge pour s’arrêter quelque temps ? Mais, elle, n'en avait pas d’attache, ni dans ce port ni dans un autre. Elle savait le sort que l’océan réservait aux filles de Poséidon qui restaient sur les quais, habitées par l’espoir d’un jour revoir l’être aimé, et elle ne le souhaitait à personne.

Alors pour rompre à sa tradition, Dylan était cette fois descendu dans l’espoir de se trouver un coin chaleureux. Elle n’avait jamais eu de maison à elle et peut-être était-il venu le temps de considérer une vie sans vagabondage ? Sa cabine de chirurgienne sur la Dame Rouge et sa maison au port. L’idée n’était pas si folle, mais pourtant elle n’arrivait encore pleinement à se faire à l’idée.

Sa quête fut vite interrompue quand elle se confronta à la réalité de l'île. Si on avait accepté la capitaine Red Jack pour la vaillance avec laquelle elle menait ses troupes et l’or qu’elle apportait à la petite communauté, Dylan Jones, pour les habitants, n’était personne ; et puis, elle n’était pas vraiment riche.
Aux lueurs du soir déclinantes, après avoir accepté qu’elle n’aurait, une fois encore, pas de propriété - et peut-être un peu soulagée à l’idée de conserver sa liberté - elle s’était installée dans l’une des auberges. Ce n’était pas la plus calme mais elle ferait l’affaire.

Puis, après s’être débarrassée de la crasse accumulée, elle s'allongea sur son lit pour laisser Morphée la cueillir… mais rien… Malgré la fatigue des longs voyages en mer, elle n’arrivait pas à fermer un œil.
Le soleil avait disparu à l’horizon, ne laissant derrière lui que sa lumière rémanente. Dylan s’approcha de la fenêtre et distingua dans le port la Dame Rouge, sagement amarrée, toutes voiles rentrées. La ferveur qui avait agité les quais tout l’après-midi s’était calmée, et ils ne restaient sur le docks que les ivrognes des premières heures.

Alors Dylan décida que si le sommeil devait la fuir, elle irait au moins visiter son nouveau port d’attache. Partout il existait toujours deux villes : celle du jour et celle de la nuit. Si la chirurgienne devait y rester, il était temps de rencontrer la deuxième.
Sur le chemin de l’extérieur, Dylan attrapa son foulard turquoise étendu sur son lit : elle préférait garder une sorte de discrétion, car une silhouette dans la nuit n’était jamais rien de plus qu’une ombre.

Le port, le soir tombant, était étrangement calme, si ce n’était pour les portes des tavernes entrouvertes d’où sortait le son mélodieux de l’ivrognerie. Les rues semblaient être leur propre personne guidant le visiteur perdu. Sur les quais Dylan admira le ciel embrasé derrière les haubans de la Dame Rouge magistral. La mer lui manquait déjà.

Puis Dylan laissa ses pas la guider, évitant les groupes de fêtards qui divaguaient de taverne en taverne. Elle passa par la place centrale où elle ne vit aucune instance étatique, ce qui n’était en rien étonnant. Et, au détour d’une ruelle elle l'aperçue, siégeant sur sa colline, la Hunauday.
Dylan se souvenait clairement du jour où, mettant les pieds pour la première fois dans le port, elle avait fini avec ses compagnons de beuverie au cœur de la bâtisse. Chez Red Jack. Elle se souvenait d’Hortense et des enfants… et de la bibliothèque. Dylan se promis qu’au premières lueurs de l’aube, elle se rendrait à la Hunauday pour rentrer les livres qu’elle avait empruntés la dernière fois. Elle en profiterait certainement pour en feuilleter d'autres.

Les pas de Dylan la menèrent en direction de la bâtisse malgré la certitude qu’il était bien trop tard pour déranger la maîtresse des lieux.
L’ombre de la colline s’étendait à l’infini tandis que le crépuscule s'évanouissait. Puis, sur la gauche, il y eut un nouveau furtif. Cette démarche, cette fluidité dans les mouvements Dylan s’étonna qu’ils ne collent pas à la silhouette habituelle de sa capitaine. Etait-ce Red Jack ? ou un proche cousin ?

Mue par la curiosité, et parce qu’elle ne se rendit pas elle-même compte de ses mouvements, elle pris la silhouette en filature.


- post 3 juillet 2023 -

D'un pas vif et si facilement reconnaissable, alors même qu'elle avait cherché à dissimuler la couleur de ses cheveux pour n'être qu'une ombre dans la pénombre, Red Jack cheminait sur les sentiers escarpés. Plus elle s'éloignait de la Butte, et donc du village-repère des pirates, plus les routes étaient incertaines. Ici, on venait par la mer, c'était le point d'accès le plus simple... personne ne se risquait à parcourir les terres pour voir ce qu'il y avait au delà. Le port-d'attache des pirates se suffisait à lui-même.

Il fallait pourtant traverser la distance de ce terrain inconnu, pour tenter cette nouvelle aventure. Distance qui se parcourait de nuit, et la jeune femme enchainait les miles et les dénivelés sans sourciller. Le sac battait sur sa hanche au rythme de ses pas, égrenant chaque seconde avec une précision imparable. Red repensait à la lettre emportée dans sa besace, aux mots qui y étaient écrit et qui, à leur lecture, l'avait poussée à réaliser ce voyage.
Et puis ses pensées vagabondèrent, en partie auprès d'Hortense et des enfants qu'elle avait laissé à la Hunauday, en partie auprès de J.J.Loyd et de l'équipage de la Dame Rouge, qui étaient restés sur le navire. Se voulant discrète, elle n'avait pas voulu formaliser d'au-revoir publics. Seuls J.J.Loyd et Hortense connaissaient la raison de son absence... pour les autres, ils supposeraient probablement qu'elle serait partie profiter des avantages d'être à terre, et qu'elle ré-apparaîtrait au moment de reprendre la mer. Même l'avant-garde ignorait son voyage solitaire. Même Dylan.

Jack laissa le souvenir de la chirurgienne se glisser dans sa mémoire, occupant ses pensées. Elle restait songeuse, poursuivant machinalement son chemin.
Sous la faible clarté des étoiles, Red Jack n'avait pas besoin de chercher son chemin. Elle le connaissait très bien. Bien que personne ne passent par les terres, laissant le sentier se perdre dans la nature sauvage, la jeune femme savait où ses pas la menaient.

Plus elle s'éloignait du port d'attache de la Dame-Rouge où elle portait le nom de Red Jack, et plus elle s'approchait de la civilisation où elle avait eu une identité anglaise. Et même si elle s'était défait de son appellation de naissance, elle reprenait une contenance autre que celle d'une pirate. Elle devenait plus... civilisée. Ses vêtements lui donnaient une image plus apprêté. Elle passait pour un homme... un homme d'une société aisée.

La route n'était plus si longue désormais. Au prochain col, apparaitrait en contrebas une autre crique. Un autre port... un port "officiel", civilisé. Un port duquel elle pourrait partir à bord d'un navire, non pas comme Red Jack, mais comme voyageur.
La route n'était plus si longue pour gagner cette crique, mais ce n'était que le début de l'aventure. Là-bas en contrebas, se trouvait le port pour aller de l'autre côté des mers.

En Angleterre.



- post 26 juillet 2024 -