Jour 7
Dylan marchait d’un pas rapide le long du chemin boueux, une main en visière pour se protéger de la pluie, l’autre tenait un petit sac en jute. En l’espace d’une semaine, depuis que la Dame Rouge avait débarqué, le temps était passé du tout au tout. Le soleil qui jusqu’alors régnait en maître sur le ciel, avait laissé place à un temps gris et humide. L’équipage était témoin de l’arrivée de la saison des pluies, et, d’après les locaux, elle ne leur laisserait que de rares moment d'accalmie.
De toute façon, la plupart des marins avaient été cantonnés au pont de la frégate qui arborait le drapeau français. La Dame Rouge naviguait toujours sous l’apparence de l’Espérance, en conséquence on avait prié tous ceux qui ne parlaient ni français ni espagnol de ne pas se mélanger aux locaux pour ne pas les faire démasquer. Alors pour tout cet équipage, il n’y avait rien d’autre à faire qu’à attendre sous la pluie chaude sur le pont supérieur ou dans la cale malodorante de la frégate. Malgré tout, une bonne humeur générale régnait. On profitait des quelques jours de repos accordés.
Dylan dépassa la petite place centrale en direction de l’unique taverne du village. Derrière elle, la Dame Rouge espérante flottait au centre de la crique, où l’eau était assez profonde pour son fort tirant d’eau. Sur le passage de la chirurgienne, quelques habitants honduriens la saluèrent et elle leur répondit à tous avec un signe courtois. Les plus âgés étaient assis dehors sous les porches qui les protégeaient de la pluie tandis que les plus jeunes chahutaient dans les flaques de boues. Le village pittoresque regorgeait d'habitants tous plus hauts en couleur les uns que les autres. Si dans les premiers jours ils s’étaient montrés méfiants, les événements du troisième jour les avaient mis en confiance.
Jour 3
Dylan avait décidé comme les jours précédents de quitter le bateau. Heureusement pour elle, elle avait appris à baragouiner quelques mots avec les hispanophones qui habitaient l’île où elle avait grandi. Bien que chez les adultes les deux mondes soit en général bien séparés, les enfants eux été trop peu nombreux pour discriminer leur amis par la langue qu’ils parlaient. Alors Dylan n’avait pas attendu longtemps pour profiter du village, rentrant tout de même au bercail pour y passer la nuit.
Elle aimait la frégate, elle aimait la vie qu’elle y menait, mais l’enfant curieuse qui vivait en elle ne pouvait s’empêcher d’explorer ce nouveau terrain de jeu. Au deuxième jour, elle était allée au marché du village pour y refaire son inventaire. Si elle y avait trouvé ce qu’elle cherchait, elle avait aussi découvert tout un tas de plantes médicinales utilisées par les locaux. Ce jour-là, Dylan n’avait pas vraiment d'autre but que de tuer le temps jusqu'au soir, le reste de l’équipage était occupé à marchander une partie de leur prise en échange de quoi que ce soit d’autre qui pourrait leur être utile.
- ¡Ayuda ! cria soudain une voix de femme. Trae al doctor.
-No esta, Mama. Se fue, répondit une autre femme d’un ton sans équivoque.
Aussitôt, Dylan se dirigea vers l’endroit d’où provenait le son, une impasse entre deux masures de bois. Là bas, au pied d’un arbre qui étendait ses feuilles au dessus des toits, un homme était assis, entouré de celles qui devait être sa femme et sa fille. De sa cuisse se répandait une flaque de sang sur le sol avide.
- Que paso ? demanda Dylan en nouant ses cheveux dans son foulard fétiche.
Les deux femmes posèrent un regard interrogateur sur la chirurgienne, débarqué de nulle-part et donc l’accent trahissait la non appartenance à l’empire hispanique.
- Soy doctora, se justifia Dylan en inspectant la scène.
Elle comprit vite que l’homme s’était blessé en coupant du bois. Soit parce qu’elles n’avaient d’autre choix que de lui faire confiance, soit parce qu’elles étaient trop surprises pour réagir, la femme et la fille la laissèrent faire. La blessure n’était pas des plus méchante. Bien sûr, elle aurait pu facilement s’infecter sans traitement mais Dylan avait déjà vu plus belles entailles sur ces patients.
Il ne lui fallut pas longtemps pour prodiguer les soins à l’homme. Il fut sorti d'affaires en un rien de temps.
- ¡Es un milagro ! No se como agradecerle, señora.
Dylan connaissait un peu d’espagnol mais pas assez pour comprendre tout ce que la femme lui dissait. Elle se contenta de hocher la tête et d’accepter les quelques pièces qu’elle lui tendait.
Après l’incident, les locaux ne furent que plus accueillants. Pendant les deux jours qui suivent, les patients n'arrêtent pas d’affluer auprès de la chirurgienne. Des petits malades aux plaies vraiment ragoutantes, tout y passa. Dylan appris que l’ancien médecin du village n’était plus. Elle ne savait pas s’il était simplement parti ou mort, quoi qu’il en soit, cette histoire faisait bien ses affaires. Elle avait même pu faire sortir Colleen du bateau pour l'assister. Non pas qu’elle était débordée mais elle voulait lui apprendre les bases du métier pour qu’elle puisse s’occuper des maux du quotidien de l’équipage en son absence, car nul ne savait à l’avance combien de temps prendrait leur remontée du fleuve et ce qu’ils trouveraient sur place.
Jour 7
Cette fois-ci, Dylan ne fut pas apostrophée sur son chemin par des locaux souffrant. Elle continua tout droit son chemin. Enfin elle arriva à destination, trempée jusqu’aux os. Le bâtiment qui lui faisait face n’avait que quelques fenêtres, et une porte. Ni devanture, ni écriteaux ne laissaient savoir ce qui se trouvait de l’autre côté du battant, et pourtant elle ne savait au bon endroit. Dylan n’avait encore jamais mis les pieds à la taverne du village pourtant elle lui semblait déjà familière.
Jour 3
- J’ai trouvé !
Les paupières de Dylan battait pour s’habituer à la luminosité matinale, mais ce ne fut pas vers la fenêtre et sa lumière que ses yeux furent attirés mais plutôt par la femme qui était assise nonchalament sur le bureau du capitaine de l’Espérance. Elles avaient poussé le meuble contre le mur pour faciliter le passage dans leur cabine - enfin la cabine de Red Jack - mais ne s’en étaient pas encore débarrassé.
La femme assise sur le bureau passa une mèche de cheveux blonds derrière son oreille et tendit à Dylan le bol de gruau qu’elle tenait à la main.
- Merci, votre Altesse, répliqua la chirurgienne.
Red Jack ne fit aucune remarque au surnom dont elle était affublé et continua :
- J’ai trouvé l’endroit parfait où continuer les recherches. Une taverne, la seule du village d’ailleurs. Elle était pas facile à trouvé. Pas de panneau. Rien. A croire qu'il veulent pas payer des coup à ceux de passage.
Depuis que le bateau avait quitté les eaux de Saint-Georges, et rencontré l'Espérance sur son passage, et qu’ils avaient trouvé les journaux du capitaine, il semblait qu’elle n’avait pas arrêté de penser à la quête. Le soir, parfois elle ruminait dans son coin de la cabine, parfois elle faisait part de ses théories à haute voix, et plus rarement encore Dylan donnait son avis.
- Tu y as entendu des choses sur Avery ?
Red Jack secoua négativement la tête pendant qu’elle mangeait son propre bol du gruau. A la voir ainsi assise Dylan se demandait si ce n’était pas le poid de son regard qui l’avait réveillé. De fois, il lui semblait sentir les yeux bleus de la capitaine braquer sur elle dans la nuit. Et souvent elle se demandait si la sensation était réciproque quand elle faisait de même.
- Rien pour l'instant mais je laisse toujours traîner mes oreilles...
Dylan ne pouvait s’empêcher de penser à ce qu’il se passerait s’il ne trouvait aucun indice en remontant le fleuve. Elle ne s’attendait à rien, et savait que l'issue la plus probable de toute cette quête était l’échec. Pourtant, elle voulait y croire. Croire que les légendes pirates étaient vraies et qu’il y avait dans ce monde autre chose que la triste réalité. Mais elle n’y pouvait rien, toujours méthodique et rationnelle. Elle n’avait pas de nouveau fait part de ses doutes à Red Jack et ne savait pas si la capitaine les avait ressentis. Quoi qu’il en soit, elle attendait comme les autres le départ avec excitation, car enfin la curiosité l’emportait toujours.
- J'y viendrai, à ta taverne, pour voir à quoi elle ressemble.
Jour 7
Mais le reste du troisième jour avait pris une tournure pour le moins inattendue ainsi que le jour suivant. Finalement quand Dylan eut enfin le temps de mettre les pieds à la taverne, Red Jack avait trouvé un autre endroit à explorer, d'autres indices à suivre, et la chirurgienne n’eut jamais l'occasion d’y retourner.
Ce jour-là, elle avait eu vent que la capitaine y passerait la soirée avec une partie de l'avant garde, c’était donc le moment parfait pour s’y rendre. Dylan passa le pas de la porte dans un grincement caractéristique. La fin de journée approchait et il régnait déjà dans la pièce une odeur d’alcool et de moisissure. La chirurgienne égouta rapidement sa tignasse noir corbeau et chercha Red Jack du regard. Elle la trouva dans un coin de la pièce… avec Jesse Sullivan.
Jour du départ
- Qu’en pensez-vous ?
Red Jack et Jesse Sullivan venaient d’exposer leur plan fou. Le premier arrêt de leur inimaginable quête. Elle avait regardé sans vraiment réagir. Le plan lui paraissait toujours insensé. Combien de temps pourraient-ils perdre avant que les premiers mécontents ne se fassent entendre ? Des années ? Des moins ? Peut-être quelques semaines suffiraient pour que certains membres d’équipage n'y trouvent plus leur compte. Alors, combien de semaines en plus, leur faudrait-il pour se regrouper et former une mutinerie ? Dylan ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter.
La chirurgienne observa Red Jack et Jesse Sullivan. Un nœud naquit dans son estomac quand elle se rappela la symbiose totale que les deux avaient formée. Une entente parfaite. Une harmonie de chaque instant. Elle regardait la paire et n’arrivait pas à saisir comme pouvaient se comprendre si bien l’homme qu’elle appréciait le moins sur le bateau et la femme qu’elle… - enfin Red Jack. Elle sentit le nœud grossir et une sensation familière l'envahit. Elle détestait ce sentiment.
Jour 7
Avec les semaines passées en mer Dylan se fit à l'idée de cette amitié, elle ne la comprit jamais vraiment pourtant. Ca avait encore plus fait jaser le reste de l’équipage au sujet de leur idylle clandestine, mais la chirurgienne n’y croyait pas. Car, s’ils étaient proches, un autre relation avait grandi dans l’ombre à l’abri du rideau de perle. Tous les soirs, Dylan et Red Jack avaient pris le temps de parler, de la quête qui s’annonçait bien sûr parce qu’elle occupait tout l'esprit de la capitaine, mais aussi de plein d'autres sujets divers et variés. Évidemment, la chirurgienne n’était pas aussi cultivée que son altesse royale mais sa curiosité la rattrapait.
Dylan soupira. Les deux lurons discutaient à voix basse. Ce n’était pas la façon dont elle avait imaginé la soirée. Quand Red Jack l'aperçut, elles échangèrent un sourire. Dylan se demanda si le sien sembla navré.
La chirurgienne repéra quelques autres membres de l'avant-garde aux tables adjacentes. L’américain parlait fort un espagnol plus qu' approximatif avec Alonzo qui tentait de lui apprendre la subtilité de l’espagnol. Dylan commanda une bière avant d’aller les rejoindre.
- post 31 mars 2022-