La Débauche

Repère chronologique : ce RP ce situe quelques semaines après "la Récolte du Safran" donc également bien après "Un peu de sang neuf". Les protagonistes prévus sont : Jesse Sullivan, John Thomasson et Red Jack. Si vous voulez participer aussi, pas de problème, il suffit de demander !

La terre ferme. La civilisation. Pour Jesse Sullivan, ça ne faisait pas si longtemps que ça, il n'y avait eu que deux abordages depuis la mission en Jamaïque. Le dernier s'était déroulé sans tracas : le capitaine avait capitulé, et la marchandise avait changé de mains sans aucune effusion de sang. C'était d'ailleurs assez inhabituel, chez les marchands de tabac, car leur tonneaux représentaient bien trop de richesses à leurs yeux. La rumeur du retour de la Dame Rouge dans les eaux avait certainement fait son chemin, et dans le doute... plutôt hisser le blanc que de voir le pavillon rouge en face. Sage décision en tout cas : les hommes de Red Jack étaient radieux. Ils n'avaient pas encore l'or entre les mains, mais ils savaient déjà comment le dépenser. À peine arrivés au mouillage, que tous se précipitaient dans les barques pour rejoindre la taverne ou le bordel. C'était qu'avec toute cette histoire de safran, ils n'avaient pas remis les pieds dans une vraie ville depuis un long moment.

Le gabier prenait son temps. Il était descendu de sa hune, mais pour l'heure, était toujours dans les haubans, s'assurant que tout était bien en place pour le repos du navire. De toute façon, ça lui servait plus d'excuse qu'autre chose : il n'aimait pas cette foule qui se pressait devant les embarcations. Quand il mit enfin les pieds sur le pont, il croisa Pete, à qui il donna un coup amical dans l'épaule :

- Bah alors, vieux, t'es pas à terre ?

- Nan, répondit Pete d'un air désabusé. J'y comprends rien, à ce genre de bled. On est entre nous, mais faut quand-même rester civilisé des fois que y'ait des gens normaux dans le coin. Nan, nan, j'irais aux putes quand on sera chez nous. Ici elles seraient capable de demander plus si on dit pas merci. Comme si ça voulait dire quelque chose, conclut-il en crachant par terre.

L'Écossais éclata de rire, en secouant la tête avant de s'éloigner.

Comme à son habitude, une fois qu'à terre il n'était plus sollicité pour les marchandises ou n'importe quel autre état des lieux, il disparut quelques heures, le temps d'un bon bain d'eau douce et d'une lessive dans une rivière en amont de la ville. Une fois propre et sec, Sullivan refit surface dans une taverne quelconque, pour se détendre, se désaltérer, rigoler et... pêcher. Pas du poisson. Cela ne s'annonçait pas très fructueux, mais qu'importe, au pire il trouverait bien où aller de manière plus spécifique pour satisfaire ses besoins. Pour l'heure, en compagnie de l'Américain et d'autres membres de l'équipage, ils cognaient bruyamment leurs choppes en riant, quand un inconnu vint s'installer avec eux.

- La Dame Rouge, hein ? Sacrée réputation, les gars.

Jesse haussa un sourcil, étonné de l'approche et méfiant à l'égard de cette incruste.

- Le recrutement, c'est la taverne à côté, petit.

"Petit". Il avait recommencé, à dénigrer de cette manière son interlocuteur. À tous les coups, il allait mal le prendre, et ça allait mal se terminer. Ou pas. L'homme éclata de rire, avant de taper, amicalement, dans l'omoplate du gabier. Ce dernier fronça les sourcils d'un air contrarié, ils n'avaient pas élevé les cochons ensemble !

- Le recrutement, haha, ce recrutement là, oui... Mais moi, j'vous offre une place sur mon navire.

- Écoute mon vieux, commença Sullivan en buvant quelques gorgées. Je sais pas si t'es con, ou si t'as juste le cerveau d'un Anglais, mais sérieusement, tu sais qu'on est de la Dame Rouge, et tu sais aussi qu'on te connait pas, donc, on a aucune raison de te suivre.

- Mais attendez un peu de voir ce que j'ai à vous offrir !

- On fait partie de l'équipage d'un fucking man o' war, et j'en ai pas vu un autre dans ce foutu port. Dégage avant de t'en prendre une.

- Justement ! Vous êtes des bons, c'est pour ça que sur mon navire, vous aurez une bien meilleure place ! Je cherche un second, et...

- Et on t'a dit de la fermer. T'es au milieu de l'avant-garde de Red Jack, t'as rien à nous offrir, et je serai toi je décarrerai fissa avant de me retrouver à devoir me battre en duel contre notre bien-aimée Cap'tain. Tente ta chance auprès des hommes du Zephir, ils amassent que du vent depuis des mois...

La tablée éclata de rire, et, sous le regard insistant et froncé de tous les hommes autour de lui, le débaucheur inconnu partit s'installer à une autre table, visiblement pour continuer ses manigances.

- Putain, ça m'énerve ce genre de crétin, il se prend pour qui sérieux, s'agaça le gabier en finissant son verre. Y'a des façons de faire, si on veut recruter, et ça, ça, s'en est pas une. Putain de lâche ! C'est qu'on a pas de chance de tomber sur ce type de débile à chaque fois qu'on va dans un port de ce genre ou quoi ? Enfin, on va pas s'emmerder à se faire chier...

Attrapant la bouteille située au milieu de la table de la main gauche, Jesse resservit ses camarades et lui-même, avant d'entonner fièrement une chanson qui ne laissait aucun doute sur leurs intentions et leur appartenance à la Dame Rouge.


- post 6 décembre 2017 -

De nouveau la terre. Avec son lot de promesses, d'alcools, de femmes et d'or dépensé. En espérant cette fois que l'escale soit moins "active" que la précédente. Mais cette fois s'il fallait réparer le navire, le charpentier pourrait s'y coller de lui-même. Sans avoir besoin qu'on aille faire les courses. Même si au final on avait bien rigolé, surtout à la fin car au milieu de l'aventure ça avait pas été tout à fait très calme…
Enfin bref. La terre ferme donc. Sans dire de passer mon tour, je laissais les autres descendre en premier. Notre escapade en Jamaïque m'avait bien dégourdi les jambes alors je pouvais bien attendre encore un peu. Couché dans mon hamac avec les mains derrière la tête, j'attendais tranquillement que le raffut sur le pont supérieur se calme en me balançant doucement. Il ne restait plus grand monde sur le navire, et ceux qui n'allaient pas à terre étaient pratiquement tous sur le pont supérieur. La garde était renforcée, Red devait encore avoir un mauvais souvenir de la dernière escale… Sauf que c'était la dernière fois qu'une attaque pareille serait lancée sur la Dame Rouge. Maintenant que j'étais à bord, les autres pouvaient toujours essayer à nouveau. Je m'étais jamais fait voler un navire et c'était pas près de commencer.

L'absence de bruits me faisait ouvrir les yeux. Je me remettais rapidement sur mes pieds et remontais à l'air libre pour monter à bord d'un canot avant qu'il ne soit vraiment trop tard. J'avais un devoir très important à remplir : laissé sans surveillance, l'Écossais était bien capable d'assécher le port ! Et ce sans boire une seule goutte d'eau. Écossais que je retrouvais d'ailleurs en ville (dans une taverne bien entendu) avec une couche sel en moins sur la peau et les vêtements et une chope à la main. Il n'avait pas perdu de temps le bougre… Je devais vraiment me dépêcher de sauver l'endroit si on voulait avoir une chance de pouvoir revenir ici un jour. Heureusement de braves marins de notre frégate s'étaient joints à moi dans cette quête, la réputation du gabier n'étant plus à faire.
Tout se passait bien jusqu'à ce qu'un soi-disant capitaine ne vienne s'incruster à notre table. Nous interrompre c'était une chose. Essayer de voler son équipage à un autre capitaine s'en était une autre. Sauf que le capitaine en question n'avait pas prévu que le l'équipage de Red Jack se plaisait bien chez Red Jack, et que personne n'avait envie de partir. Les yeux plissés et fixés sur l'inconnu durant tout son échange avec Jesse, j'attendais que la situation dégénère mais… Non. Si même les batailles de taverne commençaient à se perdre… Un vrai malheur pour les générations suivantes qui n'allaient plus avoir le bon exemple sous les yeux.
Une fois l'étranger parti à essayer de débaucher d'autres marins et notre chanson terminée, je pouvais faire ma remarque à Sullivan :

- Tu te rends compte de ce que tu dis ? Être con et avoir un cerveau d'Anglais c'est pas un peu pareil nan ? Tu réfléchis comme un caillou des Highlands mon pauvre Écossais !

Il répondait en soupirant d'un air blasé :
- Ouais, con et américain aussi...

Je lui secouais le coude un peu plus tard. Je venais de finir ma choppe, et un regard par-dessus le bord m'avait fait rire.

- T'as pas deux pièces ? Il posait une question muette en se contentant d'hausser les sourcils. C'est pour la musique, précisais-je en indiquant un violoniste au milieu de la salle.

Nouveau regard surprit de la part du gabier. Sauf que je n'avais le temps de finir mon explication que les cinq hommes installés à la table en face de moi avaient finit de se lever et s'étaient rapprochés de nous.

- Bah alors les filles, lançait celui qui paraissait le chef, un petit brun à qui il manquait quelques dents. On cherche les ennuis avec notre capitaine ?

- Autant pour moi, pas de musique soupirais-je. Juste le temps pour moi d'échanger un regard avec les autres de la Dame Rouge que je m'adressais à l'édenté: Les seules filles que je vois ici, c'est les putes qui changent de capitaine comme de clients !

Un rictus déformait son visage et sa bande se jetait sur nous, provoquant une petite agitation dans la salle. Elle commençait bien cette escale…

- 11 décembre 2017 -

Il y avait un grand avantage à être pirate de la Dame Rouge. C'était qu'habituellement, personne ne cherchait de noises à cet équipage. En général, savoir ces matelots dans le coin suffisait aux autres pour se tenir tranquille. Mais bon, les lois de la jungle et la sélection naturelle sévissent aussi chez les hommes de la mer. Ainsi bafoué dans son honneur et celui de ses camarades, Jesse Sullivan se leva en terminant sa choppe, un large sourire affiché sur son visage.

- Les filles... Ouais. Notre chère Cap'tain serait, comme qui dirait, une fille.

Le gabier s'avança vers le groupe de pirates amateurs, sans aucune agressivité dans ses gestes, et passa un bras par dessus l'épaule de l'édenté.

- Bon, Toothless... Tu permets que je t'appelle Toothless ? J'suis sûr que dans quelques décennies ce sera vachement populaire, comme nom. Bon, alors, Toothless, voilà, je t'explique. Y'a une fille, qui se trouve être notre capitaine, qu'est sur un bateau qui s'appelle la Dame Rouge. Le bateau, tsais, c'est pas n'importe lequel. Un man o' war comme t'en as jamais vu, sinon tu ne serais plus de ce monde. Alors évidemment, ça attise les convoitises. Un jour, y'a un petit mec, tsais le mec genre... bah genre comme vous en fait ! Et bah ce mec là il s'est dit "tiens, c'est un équipage de femmelettes, on va se le faire dans le port pendant que l'avant-garde se bourre la gueule à la taverne!". À cinq contre un ils étaient les bâtards. C'est dire à quel point ils étaient courageux, hein. Alors bon, c'est sûr, à un moment, on s'est retrouvé attachés comme des poissons dans un filet et ils ont balancé notre cap'tain par-dessus bord. Ouais, la cap'tain qu'est en ce moment dans la taverne de l'autre bout de la rue. Elle est remontée à la surface, mais nous, on avait déjà repris le combat. Ouais, le truc, c'est qu'on est pas des poissons, en fait... Par contre, les autres eux... bah ils ont eu leur compte, et ils ont nourri les poissons tous autant qu'ils sont. Tu piges ?

L'Écossais éclata de rire et continua son récit, maintenant son bras sur les épaules de son interlocuteur, le tapotant légèrement, presque amicalement. Toujours hilare, il fit le tour de l'assemblée du regard avant de continuer :

- Alors imagine un peu ce qui arriverait si un imbécile essayait de lui piquer son équipage ! Il rit de plus bel pour préparer sa chute, ajoutant en pointant le plafond de son indexe gauche : ou pire encore...

Son rire s'effaçant d'un coup, devenant très sérieux, il conclut :

- Sa dignité.

Il marqua une courte pause, son regard glacial de plantant tel un poignard dans les yeux de l'édenté. Tous retenait leur souffle.

- Alors désolé pour ce que je vais faire, mais on a une réputation à tenir...

- désolé pour q...

L'infortuné n'eut pas le temps de terminer sa phrase. D'un geste rapide, froid et méthodique, Sullivan lui avait brisé la nuque. Il laissa le corps retomber dans un bruit étouffé, devant les hommes des deux équipages, silencieux et médusés pour les uns, silencieux et captivés, pour les autres.

- Ou pas désolé, en fait... ajouta Jesse en regardant le corps avant de lever les yeux sur les autres. Bon, maintenant que celui-là n'a plus rien à dire, quelqu'un veut ajouter quelque chose ?

Un silence de plombs régna quelques instants dans toute la taverne, puis très vite, ce fut la confusion. Un membre d'un troisième équipage en profita pour balancer un coup de poing bien placé dans la mâchoire d'un des voleurs d'hommes, ce qui relâcha la tension et fit éclater une bagarre générale.

- 13 décembre 2017 -

Deux minutes. Voilà ce qu'il avait fallu à Sullivan pour déclencher une bagarre. Et une belle en plus ; plutôt dans le genre générale et presque violente. Juste parfaite. Plein de cibles, et pas beaucoup de têtes amicales à épargner, presque aussi amusant que d'aller fumer une cigarette dans une poudrière. Voilà qu'un mécréant cherchait à arrêter la fête en me lançant un direct. Coup de débutant, qui le laissant en déséquilibre et vulnérable. Étant moi-même partisan de l'apprentissage par l'erreur, je lui indiquais la faiblesse de ses côtes en y balançant un coup de poing aussi agréable que la gnôle de mon grand-père. Celle qui est en bouteille depuis toujours, qui a été distillée pendant deux minutes et qui peut également servir à enlever la rouille. Le suivant était armé : il avait une bouteille à la main. Une bouteille pleine. Tsss… Vraiment rien dans la tête ces gens. Le coup évité et le propriétaire de la bouteille désormais en train d'appeler sa mère à l'aide, je profitais de la relative accalmie dans mon secteur pour en goûter le contenu. Une petite gorgée rien de plus. Et après évaluation, il était de mon devoir de déverser cette immondice liquide sur le sol ou le visage d'un adversaire car brûler les yeux était clairement le seul usage de cet alcool.

S'en suivait un choc plus ou moins violent entre ma tête et ce qui devait être une chaise. Je m'effondrais et restais à terre quelques secondes le temps de reprendre mes esprits. Fini les conneries. La captain allait encore beugler pire qu'un goéland si je revenais mort sur le bateau, alors autant m'épargner ce mauvais moment. J'avais l'impression de pouvoir entendre le premier maître Wright hurler dans mes pauvres oreilles pour que je me relève plus vite. Un charmant personnage, le meilleur instructeur de toute la Marine à n'en point douter si ce n'était pour son coté irascible, son addiction à la boisson et ses compétences pédagogiques proches de celles d'un grizzly. Charmant vous dis-je.

Enfin bref, une fois de nouveau relevé je cherchais mon groupe de la Dame Rouge. Juste au cas où ça se passe mal, je préférais avoir des têtes amicales autour. Pour les trouver, rien de plus simple, il suffisait de suivre les coups de poings. Je me prenais encore un coup de tesson de bouteille dans la mâchoire juste avant de les rejoindre. Avec ce dernier attaquant, ça devait faire le cinquième que je mettais par terre et la taverne semblait être toujours aussi remplie. J'étais le seul à taper pour de vrai ou quoi ?!

- Sullivan ! Faudrait p'être trouver Red, j'esquivais un coup de poing qui visait mon nez et répliquais, juste pour la prévenir que son minois pourrait pas être apprécié ici nan ? Parce que du coup si c'est un combat qui la concerne elle, on devrait la laisser gérer seule au cas où elle se vexe ?

Un coup de couteau dessinait une trace rouge le long de mon torse. Le blond qui le maniait recevait un crochet sous le menton qui le faisait reculer de plusieurs pas.

- Enfin je sais pas, je la connais moins intiment que certains !

Le blond revenait à la charge, mais cette fois je frappais avant lui. Quelque chose craquait, à choisir entre son crâne ou mes doigts. Peut-être les deux. Je décidais de m'en occuper plus tard, et suivais le reste du groupe qui se frayait un chemin au travers de la foule. Les plus vieux de la bande devaient se rappeler de la dernière fois et craindre un assaut sur la frégate. Deux fois d'affilé, ça ferait beaucoup. Au point d'éventuellement envisager un sacrifice à Neptune pour chasser le mauvais sort, et de préférence pas un Américain. On fait de très mauvais sacrifices…


Un dernier marin se dressait soudainement entre moi et la sortie. Il était trop près pour que j'aie le temps d'armer un coup de poing. Il était temps d'utiliser ma tête pour régler le problème. Un bon coup de front dans son nez plus tard, je l'empoignais et le jetais contre le mur. Enfin la fenêtre ; et la sortie par la même occurrence. Heureux de retrouver l'air du dehors, je me tournais vers Jesse et attendais une idée de sa part.

- 3 janvier 2018 -

Les coups tombaient, les bouteilles volaient, les armes sortaient. Jesse Sullivan n'en était pas à la première rixe qu'il déclenchait suite à un petit discours piquant, mais là, il le reconnaissait lui-même, il y avait peut-être été un peu fort. Enfin, une bonne bagarre à l'ancienne de temps en temps, ça maintient en forme et ça ressert les liens. Si au départ, un certain équipage était visé par les autres, ce n'était très vite plus le cas. Dans la confusion, c'était devenu du chacun pour soi. Le gabier s'était emparé d'un pied de chaise, mais réalisant l'ampleur du désastre, il se mit à encaisser plus de coups qu'à en renvoyer, dans le but de récupérer ses camarades les plus alcoolisés pour les mettre dehors avant qu'ils ne s'amochent sérieusement. Si leur capitaine n'avait que faire de leurs occupations à terre, ils avaient en revanche des comptes à rendre sur leur boulot, et en dehors des abordages ou des blessures faites à bord dans des circonstances de travail, ils devaient s'y coller quel que soit leur état.

Enfin, il ne resta à l'intérieur de la taverne que quelques hommes de l'avant-garde avec qui l'Écossais était en train de boire avant le début des hostilités. À eux seuls, ils allaient finir par raser toute la taverne... mais ils avaient mieux à faire. La dernière fois qu'on leur avait cherché des noises dans un port, ils avaient perdu plus d'hommes qu'ils n'en avaient recrutés et avaient dû lever l'ancre en urgence, et puis, Thomasson marquait un point : il ne s'agissait pas d'une simple bagarre entre matelots. Jesse se serait bien passé de la dernière réflexion du canonnier, c'est pourquoi, une fois dehors, son premier geste fut un bon crochet du gauche dans la mâchoire de l'Américain. Pas aussi fort qu'il l'aurait envoyé sur n'importe qui d'autre dans cette taverne, ni suffisamment pour sonner son camarade, mais assez pour lui faire comprendre la leçon :

- Ça, c'est pour écouter des rumeurs à la con qui circulent à bord !

Jesse n'était pas aussi vexé qu'il en avait l'air. En fait, il ne l'était pas vraiment, il ne donnait aucun crédit aux bruits qui courraient et ça le faisait même parfois plutôt rire. Mais John ? Après tout ce qu'ils avaient traversé ensemble, surtout en Jamaïque, comment pouvait-il encore croire à des débilités pareilles ? Ce que le gabier ne comprenait pas vraiment, d'ailleurs, c'était que les ragots le concernaient lui et la capitaine, jamais lui et Alonzo. Bon, c'est vrai, il n'avait jamais passé des heures en tête à tête avec le maître-voilier dans sa cabine (sauf après l'assaut évoqué plus tôt) mais ce serait carrément plus plausible quand-même ! Sullivan reprit son sang-froid au moment où, surpris mais sans avoir l'attitude de quelqu'un sur le point de riposter, l'Américain recracha son sang par terre. Pour ne pas lui donner l'occasion de répliquer, l'Écossais reprit comme si de rien était :

- Je suis d'accord avec toi, notre loyauté en tant qu'équipage n'est plus à prouver, mais là c'est une question d'honneur. Va falloir retourner dans tout ce bordel pour récupérer... l'homme de la situation.

Le canonnier se fit craquer le cou avant de répondre.

- Bon alors, qu'est-ce que t'attends ? Il va pas sortir tout seul !

Le gabier soupira en se frottant le visage, mais n'ajouta pas un mot. Aidé d'un compagnon de l'avant-garde, il se fraya un chemin à travers les coups de poing et les dents traînant au milieu des marres de sang. Pour récupérer le capitaine des voleurs d'équipage, ils eurent à aplatir quelques crânes, disloquer quelques nez, mais ne réussirent pas à la tâche la plus importante : faire taire ce crétin. Tandis qu'il était retenu par les deux bras, porté d'un côté par Sullivan et de l'autre par Malik, pédalant des pieds dans le vide en hurlant des insanités, il sommait ses hommes de lui venir en aide. Si ces derniers avaient été assez stupides pour signer avec lui, ils n'avaient pas l'air de l'être au point de le soutenir maintenant qu'il était clairement devenu un ennemi de la Dame Rouge.

- Tais-toi ou je te plante ! s'impatienta l'Écossais une fois sorti.

- C'est de toute façon ce que vous allez faire, non ?

Le gabier lâcha l'homme et s'arrêta en face de lui, plantant son regard dans ses yeux. Incapable de cacher sa crainte, et ça se dit capitaine... Pourtant, Jesse lui adressa un large sourire.

- Non.

L'homme se tut, rendu muet par l'attitude incompréhensible des matelots de Red Jack. Par une suite de mouvements de têtes que Sullivan comprit, son camarade Tunisien prit congé, retournant dans la taverne finir le boulot.

- Hey John, file-moi un coup de main, on a des présentations à faire.

Comprenant certainement où le gabier voulait en venir, l'Américain sourit et les deux hommes trainèrent le so-called captain dans la taverne voisine.

Déranger Red Jack en règle générale était une chose dangereuse. La déranger à la taverne commençait à être à la limite du suicidaire. La déranger en pleine tentative de séduction d'une serveuse... Bon, ils avaient un joli cadeau, presque bien emballé, mais pour pas finir embroché, il fallait un certain tact. Ou pas. L'Écossais et l'Américain laissèrent simplement tomber la marchandise devant le regard médusé, mais pas encore assassin, d'une vraie capitaine.

- Ce type a essayé de nous recruter au prétexte qu'on aurait un meilleur poste sur son rafiot. En fait, il a essayé de recruter toute la taverne... enfin, on s'éloigne, on s'en fout. Nan, on s'est dit que t'aurais envie d'avoir une petite conversation sympathique avec lui, feu son second a cru bon de te comparer à une blondinette de cinq ans avec des petites couettes toutes mignonnes. Enfin, pas exactement, mais moi quand on me dit "fillette", c'est l'image mentale que ça me renvoie...

Secouant la tête d'un air ahuri, dépassé par la stupidité de l'homme presque incapable de tenir sur ses jambes maintenant qu'il était en face de la véritable Dame Rouge, Jesse releva ses yeux froncés vers sa capitaine avant de lui sourire :

- Joyeux Anniversaire ! C'est ton cadeau. Regarde comme il est tout mignon tout frêle, on dirait qu'il a la tremblotte du mouton par les genoux !

S'amusant de plus en plus de son petit jeu, Sullivan pinça les pommettes de l'homme, totalement déstabilisé par le comportement de son assaillant, qui se mit à exagérer intentionnellement la façon dont on s'adresse à un nourrisson.

- C'est qui le gros monsieur qui vient de rencontrer un vrai capitaine ? Il dit pas bonjour le gros monsieur ? Oh mais c'est un vilain gros monsieur ça !

Arrêtant là son surplus d'égarement, le gabier reprit ses esprits et se ressaisit, reprenant son comportement habituel après un léger soupir :

- Bon, voilà, maintenant fais-en ce que t'en veux, de toute façon je crois que ses hommes sont déjà finis à côté...

- 3 janvier 2018 -