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 "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir."

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Caecillius




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MessageSujet: "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir."   "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir." EmptyJeu 7 Nov 2024 - 15:03

Contexte : États-Unis d'Amérique, 1849




Ayant passé les longues semaines du voyage à tenter de protéger sa sœur et lui-même d'un mal qu'il avait eu la chance de ne pas rencontrer auparavant, Sean se sentait mal. Ce n'était pas à cause du roulis, ni tu tangage, ce n'était pas non plus la toux et les éternuements qui voyageaient plus rapidement que n'importe quel bateau. Ce n'était pas non plus l'alcool – ce mal qu'il avait eu la chance de ne pas connaître, ni l'odeur oppressante qui accompagnait les ivrognes. Non, c'était la fatigue. La fatigue de devoir cacher à sa sœur que finalement, tout n'irait peut-être pas aussi bien que prévu, la fatigue de ce long voyage, la fatigue de bénéficier d'un espace un peu plus grand chaque jour... parce que tous ne survivaient pas. À vrai dire, la plupart n'étaient déjà plus de ce monde. Certains étaient déjà trop faibles à l'embarquement. D'autres sont tombés malades. En réalité, tous sont tombés malades. La fièvre les a gagné les uns après les autres, mais tous ne se sont pas relevés. Sean avait fini par se rendre à l'évidence : on lui avait menti. Rien de plus beau, ni de plus prospère, ne les attendait au bout de ce voyage. Il n'y avait que la mort, la mort confinée, la mort palpable, la mort inassouvie, la mort étouffante, la mort imminente...

Et puis, soudain, comme un miracle, des cris de joie et des célébrations commencèrent à parvenir du pont supérieur.

- TERRE ! TERRE À L'HORIZON !

Sortant de leur asthénie, tous se redressent, hésitants, se lancent des regards incrédules. Puis on se lève, on se bouscule, telle une panique d'espoir qui s'empare des cœurs survivants. Attendant patiemment que le branle-bas de combat s'amenuise, Sean finit par se tourner vers Ciara, les yeux illuminés, plus brillant qu'un phare marin au milieu de l'hiver. D'un geste tendre, il lui prend la main en souriant, et, enfin ranimés par la vision d'un avenir concevable, ils accourent eux aussi, de front, à l'air libre. Enfin, ils respirent ! Ils respirent à pleins poumons, à pleines dents, à pleine destinée. La soirée est déjà bien avancée, et le brouillard couvre la distance, mais elle est là, elle est bien là. La Terre Promise. Elle est lointaine et informe, comme un mirage, comme un miracle. Il n'y a plus de mourants, plus de malades, plus de tristesse... Les cris des oiseaux marins retentissent avec autant d'espoir que les cloches d'une centaine d'églises. Et comme à la messe, chacun s'enlace, se félicite, bénie le seigneur.

Au soir, on chante, on danse, on oublie les malheurs et la brutalité du voyage. Bientôt, tout sera terminé. Les semaines et les années passées ne seront plus qu'un mauvais souvenir.

***


Les derniers jours furent les plus longs. L'euphorie passée, la longue traversée accomplie fait payer son dû. Même si la vision de cette terre approchant apaisait tous les cœurs, l'attente n'en était que plus difficile. Avec vue sur l'objectif, la distance n'en paraît que plus longue.

Puis arrive enfin l'heure du débarquement. Presque en silence, bien rangé les uns derrière les autres, on attend son tour pour fouler la terre d'Amérique. Pouilleux, crasseux, misérables et en guenilles, le miracle n'a pas lieu, pas tout de suite. Il ne suffit pas d'y poser le pied pour se voir changer de costume ! Mais ce pied, ce premier pas, dépasse largement en prouesse et en espoir celui d'un enfant qui apprend à marcher. Une fois un peu plus à l'écart, après avoir foulé ce sol de plus d'une dizaine de mètres, Sean serre sa petite sœur dans les bras, avant de la porter telle un trophée, en s'exclamant plein de joie :

- On y est ! On y est, Lily, on l'a fait ! On est en Amérique !

La blondinette rit aux éclats, tout comme son frère. Ils profitent pleinement de ce moment d'insouciance, parce qu'ils savent que bientôt, ils devront se mettre en quête d'un logement, d'un travail, en échange d'un peu de nourriture, n'importe quoi...

Ayant fait la connaissance de plusieurs jeunes hommes et familles qui partageaient leur voyage, les deux Cassidy se virent proposer plusieurs fois de suivre les uns ou les autres dans les quartiers irlandais qui s'étaient formés au cœur de la ville de New-York. Sans être méfiant, Sean émettait quelques réserves, des réticences. Beaucoup de ces jeunes étaient alcooliques – ou l'étaient devenus au cours de la traversée. Ils venaient de Galway, Dublin ou Limerick, et venaient chercher des travaux d'ouvriers, de manutentionnaires, ou se faire engager dans la police. Mais la ville, ses bruits et ses pauvres fous, ce n'était pas pour lui. Ce n'était pas pour eux. Et puis, il avait un avantage sur les autres : il parlait l'anglais. Il savait lire et écrire. L'école avait fini par fermer ses portes, faute d'élèves et de professeur, mais il en avait bénéficié suffisamment longtemps pour s'en sortir. En fait, il avait adoré apprendre toutes ces choses, et il avait été si bon élève que le maître lui avait gracieusement donné des leçons particulières d'anglais, dans l'espoir qu'il obtienne une bourse pour entrer au collège. Finalement, il n'y eût ni diplôme de fin d'étude primaire, ni collège. À la place, il n'y eût que le mildiou, et la misère. Et tout cela était désormais derrière lui. Il n'était peut-être pas allé au collège, mais les efforts fournis par l'enseignant étaient sur le point de payer. Réalisant alors qu'il lui devrait tout, Sean songea à écrire une seconde lettre, une fois qu'ils seraient installés.

N'ayant d'autre choix dans un premier temps que de rester dans les bas-fond de la grande pomme, Sean et Ciara continuent simplement de survivre, comme ils avaient pris l'habitude de le faire, jours après jours. Des petits travaux par-ci par-là permettent finalement au jeune homme d'amasser assez d'argent pour rejoindre en train la ville de Springfield, dans l'Illinois. Il avait entendu dire que de là partaient les caravanes sur les nouvelles pistes de l'Ouest.

Une fois arrivés, s'éloignant légèrement de la ville, se dirigeant vers les champs abondants de blé ou de maïs, les deux têtes blondes finirent par atteindre, en milieu de journée, une charmante maisonnette bâtie non loin d'une étable. C'était bien plus calme que New-York, bien plus respirable que les vapeurs d'un train, et bien moins bruyant que l'un ou que l'autre : on entendait chanter les oiseaux. Du linge séchait au vent, laissant apparaître, au rythme de la brise, un potager bien garni. Souriant d'un air confiant à sa sœur en approchant de la porte, Sean retire sa caquette, arrange la coiffe de Ciara, époussette un peu son costume revêtu pour l'occasion, puis frappe à la porte. C'est une femme qui ouvre, elle est plutôt âgée, et s'étonne de se retrouver en face de deux enfants qu'elle n'a jamais vu auparavant.

- Pardonnez-moi de vous déranger, Madame, entame le jeune homme dans un anglais hésitant, je m'appelle Sean Cassidy, et voici ma jeune sœur, Ciara. Nous sommes ici depuis peu, et nous cherchons quelques travaux à effectuer, en échange d'un repas et d'une nuit dans votre grange.

Non pas méfiant, mais prudent, Sean avait volontairement omis de préciser que ''depuis peu'' se comptait en simples jours, à peine plus de deux semaines. Quant à là d'où ils venaient, ce n'était pas qu'il voulait s'en cacher, mais il ne voulait pas le mettre trop en avant non plus, on ne sait jamais, surtout que son accent suffisait largement à les démasquer. Pour appuyer sa demande, il dessina un léger sourire sur son visage, poli et suppliant, mais pas trop implorant non plus. La misère était derrière eux, elle y resterait. La bonne femme ne laissa rien transparaître de ce qu'elle pensait d'eux. Elle les jaugea du regard, un sourcil haussé, inspectant leurs tenues et leur état général.

- Ici depuis peu ? Laissez-moi deviner, vous avez fui la faim d'Irlande, et vous trouvez la même ici, hein ? Bon, au moins, vous n'êtes pas comme ceux de la grande ville qui s'entassent dans les quartiers malfamés en attendant le jour où il pleuvra de l'or ! Où sont vos parents ?

- Oh, ils... ils n'étaient pas du voyage, Madame. Serrant sa main sur son cœur et levant les yeux au ciel, il ajouta, presque dans un murmure. Paix à leurs âmes.

- Et l'orphelinat ne veut pas de vous ? Ou c'est vous qui n'en voulez pas, peut-être ?

- Oh, je suis assez grand pour prendre soin de nous, Madame, s'offusqua presque le jeune homme. J'ai plus de dix-huit ans, même si je n'en ai pas l'air ! Je sais labourer un champ, récolter le blé, les pommes de terre, tout ce qu'il faut pour nourrir une famille ! Je sais aussi m'occuper des bêtes, et monter à cheval. Je peux porter de lourdes charges et pêcher aussi. Je sais réparer un toit. Je ferais ce que vous me demandez, et ce dont vous avez besoin, Madame. Nous ne demandons pas d'argent si vous n'en avez pas, mais juste de quoi manger et dormir à l'abri.

- Très bien, très bien. Et la petite, qu'est-ce qu'elle sait faire ?

D'une voix plus timide, mais tout de même relativement bien assurée, Ciara prit la parole à son tour.

- Je sais faire presque la même chose que mon frère Madame, mais je peux aussi coudre, ou cuisiner, je sais repriser et tricoter... Je gagnerais mon pain aussi, je ne le laisserais pas faire toute la besogne pour deux.

- Bien, annonça enfin la bonne femme après un court instant de pause. Toi, petit gars, vas donc voir mon mari, il est par là bas, continua-t-elle en indiquant une direction, j'espère que tu sais te servir d'une machette. Toi, ma petite, tu vas venir m'aider à la cuisine, puisqu'il y aura plus à faire que prévu.

Les yeux du jeune homme s'illuminèrent, soupirant de soulagement, et remerciant chaudement la bienfaitrice. Sourire aux lèvres et cœur léger, il prit la direction indiquée pour aller à la rencontre de celui qui serait son employeur. Un peu bougonnant au départ, l'homme grisonnant accepta malgré lui l'aide de Sean, avant de se rendre compte avec satisfaction que le gamin n'avait pas menti : il était travailleur, et plus solide qu'il n'en avait l'air.

Ainsi, cet arrangement dura finalement plusieurs jours. Le couple et les frère et sœur s'entendirent assez bien pour se lier d'amitié et s'échanger quelques confidences. Les Henderson, comme ils se nommaient, auraient sans doute voulu que les enfants restent, mais ils connaissaient le désir de l'aîné de se voir offrir des terres à l'ouest. Quand ils entendirent alors parler de la préparation d'un départ imminent de caravanes, ils se dirent adieu, et se souhaitèrent bonne chance.

Chargés d'un simple panier rempli de quelques vivres et vêtements en bon état, Sean et Ciara Cassidy patientaient dans la longue file d'attente dans le but de s'inscrire au départ de la prochaine caravane. Il y avait surtout des hommes, quelques jeunes couples, mais également plusieurs familles. Des enfants couraient, se chamaillaient, s'échangeaient des broutilles. La petite irlandaise les regardait avec envie, voulant se mêler à leurs jeux, mais d'un seul regard de son frère, elle comprit qu'il ne la laisserait pas s'éloigner.

Enfin, arrivèrent leur tour. Bombant fièrement le torse, le jeune homme annonça d'une voix forte :

- Sean et Ciara Cassidy ! Compétences en tous genres : je sais chasser, bricoler, couper du bois... J'ai pris une machette avec moi.

- On ne prend pas les gamins, coupa sèchement le chargé des inscriptions.

- J'suis pas un gamin, s'offusqua Sean en fronçant les sourcils. J'ai presque dix-neuf ans !

- Ah ouais, et qu'est-ce qui me l'prouve ? Trop jeunes, même si tu les avais vraiment. En plus, vous n'avez même pas de chariot, alors à moins que vos parents soient dans le coin et se ramènent fissa, c'est non. Au suivant.

- Je sais m'occuper de ma sœur et de moi-même, je suis assez grand pour partir, surtout vu de là où on vient !

- AU SUIVANT ! Insista le bonhomme d'une voix plus forte.

Vexé et blessé, le jeune irlandais recula de quelques pas, prenant Ciara par la main, se jurant de ne pas se laisser abattre malgré sa voix consternée.

- Viens, Lily, c'est pas grave... On trouvera bien un moyen d'y aller autrement...

À peine eût-ils fait quelques pas pour remonter la file, qu'un drôle de personnage un peu rouget et rondouillard les interpella :

- Hey, p'tit ! Viens par là, moi j'veux bien vous prendre. Je suis tout seul, pis pu tout jeune, j'aurais bien besoin d'un coup de main pour charger ma cargaison. Vous en faites pas, je suis sûr de partir, ils auront forcément besoin d'un charron.

- Vraiment..? s'arrêta Sean, incrédule.

- Ouais, vraiment, aller, fais pas cette tête, continua l'homme en tendant sa main. Eddie Jefferies.

L'irlandais la serra, béat devant une telle opportunité.

- En...enchanté. Sean Cassidy. Et ma jeune sœur, Ciara.

À peine quelques minutes plus tard, les deux têtes blondes étaient inscrites au départ de la prochaine caravane.



- post 12 octobre 2016 -
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Gema W. Thinncöen

Gema W. Thinncöen


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MessageSujet: Re: "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir."   "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir." EmptyVen 8 Nov 2024 - 19:53


Les vagues se fracassaient avec force sur coque du géant de bois, sans que celui-ci n’esquissât un mouvement. De tout son poids, de toute sa taille il fendait les eaux, impétueux. Les courants ne l’emportait pas, le vent ne le poussait pas non plus. Parfait alliage des sciences et de l’industrie, il était fier et invincible. Toujours il avançait droit devant, sans détour, pour attendre son objectif, sa cible. Le SS Georges IV, car c’était le nom qu’on avait donné au bateau, voguait depuis près d’un mois sur l’océan Atlantique. La traversée avait été, par miracle, assez calme : il n’avait pas eu à traverser de grosse tempête, ni de vagues particulièrement hautes. Pendant trois semaines les voyageurs n’avaient pu observer que la mer huileuse d’un bleu profond. La monotonie du décor, ou peut-être était-ce le vent froid de la fin d’hiver, les avait petit à petit dissuadés de monter sur le pond supérieur, ils préféraient s’enfermer dans les cabines et les espaces communs où régnait une odeur peu appréciable : un mélange entre le dîner de la veille et le vomi de ceux pour qui le roulis incessant empêchait la nourriture de rester dans l’estomac. Mais malgré cela, plus personne ne faisait attention au parfum qui imbibait chaque coin de la pièce. On s’habitue à tout, dit-on.

Le bateau à vapeur SS Georges IV été parti du port de Cardiff, un mois plus tôt en direction des Etats-Unis d’Amérique. Destination rêvée, idéalisée, par des milliers d’européens que le Vieux Continent ne satisfaisait plus. On y promettait une richesse facile, il suffisait de se baisser pour ramasser un lingot, disait-on. Là-bas les lois étaient encore à écrire ; une liberté comme nul part ailleurs. Aucune monarchie, ni aucun empire n’y prônait la supériorité du sang, seul le travail comptait. C’était pour cette raison que la plupart des passagers du SS Georges IV n’étaient pas des aristocrates, même la première classe comptait plus de riches bourgeois que de nobles. Personne ne s’en étonnait pourtant. On ne venait pas en Amérique faire une promenade de santé mais s’y installer. Quel aurait été l’intérêt pour des seigneurs de perdre leur titre dans un pays étranger ? Ainsi dans le bateau, les classes populaires faisaient leur loi, avant goût de ce qu’ils pensaient trouver arrivés à destination. Certains clans s’étaient formés pour s’accaparer les rares sources de chaleur de la troisième classe. Mais pourtant, ce soir là, les grandes salles communes étaient vides comme si toute la population du bateau s’était évaporée.

En effet, malgré le froid et la nuit qui tombait, le pond supérieur était en effervescence. Les dizaines de passagers s’entassaient à l’extérieur, crachotant un nuage de fumée blanchâtre presque aussi dense que celle, noire, des cheminées du bateau. Quelque jour plutôt on avait annoncé la terre à l’horizon, la délivrance de ce voyage incessant. Aussitôt on avait organisé une grande fête sur le pont, un homme avait sorti son violon et un petit garçon l’avait suivi à l’accordéon. Les rondes populaires et les valses s’étaient enchaînées dans un fond de musique folklorique ; quelques uns et unes s’étaient mis à chanter dans la langue de leur pays. Il était fou d’entendre combien de nationalités différentes se rencontraient dans le bateau. Gallois bien sûr, mais aussi anglais, écossais, français, allemand, autrichien… L’Europe entière unie dans sa fuite.

Petit à petit, la joie des premiers jours s’étaient tarie, faisant place à l’attente latente. Tous passagers avait semblé s’être transformés en fantômes, déambulant dans les étages du bateau comme autant d’âme vide. C’était insupportable que cette attente ! Certains avait passé leur journée accrochés au bastingage en regardant la terre à l’horizon qui grossissait trop lentement. Et le bateau avait avancé toujours à la même vitesse, inexorablement, comme un geôlier qui ne voudrait pas relâcher ses prisonniers. L’excitation s’était transformée en inquiétude. Y aurait-il assez de place pour eux là-bas ? Que feraient-ils une fois le pied posé sur le sol étatsunien ? Autant de question dont beaucoup ne s’était pas préoccuper en montant à bord du SS Georges IV, incertain de la réussite de la traversée. Pourtant elle avait été des plus calmes, comme si un quelconque dieu avait veillé sur les passagers. Il avait fallu penser à l’avenir : rester à New York ou partir toujours plus à l’Ouest ? Des amitiés qui s’étaient tissées en un mois entassés les uns sur les autres, il n’était resté plus que des conversations furtives sur leurs différentes destinations.

Cette nuit-là, pourtant, pas un seul bruit ne s’échappait de la foule amassée sur le pont supérieur ; même les rares enfants s’étaient tu. La fébrilité était à son maximum. Le SS Georges IV qui était devenu leur foyer, arrivait dans le port de New York. Presque religieusement, les passagers regardaient les tours de la ville défiler, comme un rang d’honneur qui saluait leur arrivée. Ils naviguèrent un moment sur Upper Bay, attentant impatiemment la vue de leur quai. Les mains se serraient, les yeux scintillaient parmi les ombres noires et informes des immeubles, vaguement éclairés par la lune, haute dans le ciel ce jour. Son allure en croissant se reflétait, d’ailleurs, dans l’eau de la baie dont la houle déformait la surface. L’astre était le même que celui que les voyageurs avaient déjà pu observer du continent européen. Un petit goût de chez eux, à plusieurs milliers de miles de distance.

On devait s’approchait de cinq heures du matin quand l’annonce fut faite que le quai de débarquement était en vue et que les passagers pouvaient d'ores et déjà se préparer à l’arrivée. Des chuchotements d’abord s’élevèrent, puis ils devinrent plus forts et bientôt un brouhaha continu résonna sur le pont supérieur. Certains passagers ayant oublié quelques affaires dans leur cabine s’y précipitaient pour les récupérer en vitesse. Tous voulaient être les premiers à descendre pour devenir le symbole de leur voyage réussi. Près de l’air de débarquement les voyageurs se poussaient, certains que c’était l’unique moyen pour fouler la terre ferme le plus vite. Les agents du bateau râlaient devant toute cette agitation, qui allait devoir se jeter à l’eau si l’un de ces nigauds y tomber ? Eux bien sûr !

Mais loin de l’agitation du pont supérieur, dans l’une des cabines de seconde classe, se trouvait une famille qui finissait de boucler ses bagages. Ni le père ni la mère ne semblaient particulièrement impatient de partir, conscients que le voyage par bateau avait été pour eux la partie la plus simple de leur odyssée. Pendant que les deux aînées se chargeaient de fouiller chaque recoin de la pièce pour être sûrs de ne rien oublier les deux benjamins, un pair de jumeaux farceurs couraient en rond dans la pièce en se chamaillant. Les parents ne disaient plus rien, comment pouvaient-ils gronder leurs garçons de se dépenser alors qu’ils étaient enfermés dans bateau depuis un mois avec la strict interdiction de chahuter sur le pond supérieur ?

- Tout est bon de mon coté. On n’a rien oublié, annonça l’unique fille de la fratrie dans un allemand aux accents autrichiens, à l’attention de ses parents.

- Rien de mon coté non plus ! renchérit l’aîné.

Les deux enfants se regardèrent et sourirent, les mêmes fossettes enfantines se dessinèrent de part et d’autre de leurs visages. Leur mère qui assistait à la scène en pliant le dernier linge, ne pu s’empêcher d’apprécier ce moment de complicité entre ses deux enfants. Ils n’avaient pas beaucoup de différences d’âge : dix et sept ans, ce qui contribuait à une grande entente entre eux. Nul doute, ils étaient bien de la même famille, les mêmes yeux foncés, les mêmes expressions douces.

- Combien de fois devrais-je vous dire de ne plus discuter en allemand ! rouspéta l’homme d’une quarantaine d’année qui fermait la dernière valise. Nous ne sommes plus en Autriche, apprenez à parler anglais nom d’une pipe !

- Mais maman ne comprend pas cette langue, se justifia la petite.

- Ta mère est grande et intelligente, Gema, elle apprendra. D’ailleurs elle a besoin de votre aide pour apprendre. Vous êtes les aînés, vous êtes allé à l’école en Angleterre, vous connaissez l’anglais ; mais elle, elle n’a pas vraiment eu l’occasion de le pratiquer depuis la naissance des jumeaux. Alors, si vous parler anglais à la maison elle apprendra plus facilement.

Il ébroua les cheveux blonds de sa fille, dans un geste de tendresse en signe que la discussion était close. La mère approuva son mari d’un mouvement de tête, pas vraiment sûre d’avoir tout compris. Malgré ses difficultés présentes, elle n’était pas vraiment inquiète, elle se savait capable d’apprendre l’anglais rapidement. Pour s’instruire il fallait observer, et c’était justement ce qu’elle faisait de mieux.

Quelques instants plus tard, toute la petite famille était dehors, emmitouflée dans de chauds manteaux. Chacun portait sa valise à ses cotés mis à part, bien sûr, les deux plus jeunes enfants. L’aîné Lars, car tel était son prénom, était aussi encombré de son accordéon dont il jouait en autodidacte. Il avait été impossible pour ses parents de le lui faire laisser à Londres quand ils avaient vendus tous leurs biens, l’enfant y été trop attaché comme le dernier fragment de sa vie d’avant. Du reste ils n’avaient emporté que des vêtements et la coquette somme qu’il leur restait de la vente de leur appartement. Par miracle, elle avait entièrement survécue au voyage, bien cachée dans la doublure de la veste que le mari gardait nuit et jour.

Arrivé au point de débarquement longtemps après le gros des voyageurs, ils évitèrent les bousculades. La mère et l’aînée tenaient tout de même fermement la main de chacun des jumeaux, par sécurité. On n’est jamais trop prudent, pensaient-elles. Quand leur tour arriva enfin de descendre la voie d’accès au quai, on laissa le père prendre la tête du cortège, suivie de près par les deux petites têtes blondes qui tiraient fortement vers l’avant celles qui les retenaient. Cérémonieusement Klaus, le père, posa le premier le pied sur le sol américain. S’ils avaient été seuls, nul doute que toute sa petite famille l’aurait applaudi. Seulement, une masse de voyageur devait encore descendre et ils durent très vite se pousser. Il était étrange près des semaines vécues au rythme les roulis de sentir de nouveau la terre ferme sous ses pieds. C’était comme une délivrance, un nouveau départ.

Ne pouvant pas rester trop longtemps sur le quai sans être bousculés, la famille s’enfonça dans la première rue éclairée qu’ils trouvèrent. Et à l’intersection de la première avenue, ils s’arrêtèrent, l’homme écarta les bras et il sembla que la lumière orangé des lampadaires formait toujours de ses cheveux blonds un halo de lumière.

- Bienvenue à New York les enfants ! Bienvenue aux Etats-Unis d’Amérique.

Les deux parents se regardèrent et se sourirent. Sans un mot, leurs yeux criaient « On l’a fait ! Nous y sommes enfin ! Nous n’avons plus qu’à commencer notre nouvelle vie ici, notre nouveau départ ! Tout ira bien maintenant. Je t’aime. »

*

La petite famille, dut assez vite se mettre en quête d’un toit pour les prochaines nuits. La somme d’argent qui leur restait leur permit de dormir dans une auberge assez confortable sans y laisser toute leur fortune. Cependant leur ambition n’était pas de rester à New York, aussi charmante la ville soit-elle. Ils avaient connu Vienne et Londres pendant assez longtemps pour savoir que l’intolérance se trouvait dans chaque grande ville. Au Etats-Unis, ils étaient venus chercher la paix que leur nom de famille ne leur avait jamais permis de trouver. Levi. C’étaient idiots ils n’étaient même pas juifs et ne connaissaient presque rien à cette religion. La seule certitude qu’ils avaient été qu’on naissait juif par sa mère et qu’aucune des leur ne l’était.

Rapidement la famille migra dans l’Illinois dans le but de partir un peu plus à l’Ouest. New-York était une trop grande ville pour eux. Une fois là-bas, il ne fallu pas longtemps à Klaus pour trouver un chariot et deux robustes chevaux de trait. Quand il voulu les montrer à sa famille il les héla depuis la rue ou se trouver leur auberge. Sortant la tête par la fenêtre les deux aînés poussèrent un cri de joie et se précipitèrent à l’extérieur pour voir les acquisitions de leur père de plus près, rapidement suivis par leurs frères. Quand la mère sortit à son tour les enfants étaient tous montés à bord de la carriole et chahutaient sur la place du cocher. Klaus la regarda en souriant.

- Me feriez-vous l’honneur d’un tour dans mon magnifique véhicule, gente dame ? demanda-t-il en lui faisant un baisemain comique.

Tous les enfants se mirent à rire quand leur mère accepta feignant des manières très distinguées. Pus tard, alors qu’ils finissaient un tour de la ville Klaus apprit à sa femme qu’il avait du acheter ce chariot avant de pouvoir s’inscrire dans l’une des caravanes qui partaient s’établir plus loin dans l’Ouest. Tous les dirigeants jusque là rencontrés s’étaient ouvertement moquer de lui quand il avait énoncé le souhait de faire parti de leur voyage sans avoir de chevaux robustes sur lesquels se reposer. « Et vous allez y aller à pied dans l’Ouest ! » avait-on rigolé. Le lendemain, ils repartiraient donc ensemble à la périphérie de la ville pour trouver une caravane qui voudrait bien d’eux.

*


- Votre nom ? demanda-ton.

Comme prévue toute la petite famille, se trouvait le lendemain matin dans la file pour espérer partir vers l’Ouest américain. Ils avaient dû patienter vingt minutes avant que leur tour arrivât. Les enfants étaient restés auprès de la carriole pour surveiller que rien ne soit volé. Klaus tenait fermement la main de sa femme pour se rassurer autant que pour la rassurer. Ils avaient entendu qu’on acceptait que ceux qui pourraient être utile à la petite communauté que formerait la caravane et aucun des deux parents n’avait vraiment de compétences manuelles. Bien sûr la mère savait coudre et le père bricoler mais il aurait été bien incapable de réparer une carriole.

- Votre nom !

- Klaus et Angela Lev… Lewis.

La femme se retourna étonnée en direction de son mari. Elle ne connaissait peut-être pas bien l’anglais mais elle savait encore quel était son nom de famille, et ce n’était pas Lewis. Ne voulant pas ridiculiser son mari devant le chef de la caravane elle se garda de faire une remarque, néanmoins elle se jura de lui demander des explications plus tard.

- Vos compétences ?

- Et bien je sais lire et écrire. J’étais imprimeur en Angleterre. J’ai surtout des bonnes connaissances des lois et de ce qui les entourent. Sinon, je sais aussi bien couper du bois que chasser avec un fusil entre autres… Ma femme aussi sait lire et écrire, coudre et autres tâches domestiques.

L’homme d’une imposante corpulence le regarda dubitatif, surement devait-il se demander de qu’un couple de littéraires venait faire dans une caravane en direction de l’Ouest. La main de Klaus devint moite, il regarda rapidement autour de lui. Angela compris qu’il cherchait une compétence qui pourrait lui servir. Les yeux de la femme se posèrent sur un groupe d’enfant qui riait en courant autour des chariots.

- Professeur, dit-elle. Enseigner enfants de caravane. Ecole.

Angela se demanda si elle n’était pas aller trop loin. Le chef de la caravane n’apprécierait surement pas qu’on lui fasse remarquer quelque chose qu’’il avait oublié. Il fronça ses sourcils broussailleux et sembla réfléchir un instant à la proposition. La main de Karl se serra un peu plus autour de celle d’Angela. Quoique fusse la réponse elle s’en accommoderait, mais son mari serait tellement déçu de ne pas être pris…

- Bien, Mr et Mrs Lewis. La caravane part mardi prochain, soyez à l’heure.

- post 16 octobre 2016 -


Dernière édition par Gema W. Thinncöen le Jeu 14 Nov 2024 - 21:04, édité 2 fois
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Caecillius




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MessageSujet: Re: "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir."   "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir." EmptyVen 8 Nov 2024 - 20:05

Durant les quelques jours précédant le grand départ, Sean et Ciara furent logés et nourris chez cet Eddie Jeffries. C'était un bon vivant, qui n'était plus tout jeune et qui semblait plus que réticent à parler de sa vie, de sa famille, de ce qu'il faisait avant, de ce qu'il fuyait. En revanche, il ne cessait de poser des questions à ce sujet aux deux irlandais, et Sean finit par lui répondre qu'il ne dirait rien de plus, à moins qu'Eddie ne leur raconte également son histoire en retour.

Finalement, rien de plus glorieux dans la vie aux Amériques qu'ailleurs : la maladie frappait partout. C'est ainsi qu'Eddie avait perdu sa femme et leurs deux enfants, le même hiver, du même mal. Sean fut choqué d'apprendre que cet homme en avait perdu la foi en Dieu. Lui et sa sœur, qui avaient traversé tant de difficultés, n'auraient sans doute jamais survécus sans l'aide du Seigneur. Alors comment faisait cet homme, à quoi se raccrochait-il pour surmonter tout cela ? Visiblement, à rien d'autre que sa fuite vers l'ouest.

Pendant ce temps, la caravane s'organisait, prenait forme : au cœur même de la ville, du bétail s'entassait, des chariots se remplissaient de vivres, d'armes et d'outils en tout genre. Sean et Eddie participaient à l'approvisionnement, chargeant caisses après caisses dans les carrioles, dont l'état général était préalablement contrôlé par le charron. Tout cet avitaillement se faisait sous l'examen minutieux du chef de caravane, qui aurait également pour rôle, lors du périple, de superviser les éclaireurs. Petit à petit, des rôles furent attribués à chacun. En tant que garçon de ferme – même si ces dernières années il n'y avait pas eu plus d'animal à nourrir que de patate à récolter dans ses champs – Sean fut tout désigné comme aide palefrenier. Le médecin se chargeait déjà de vérifier qu'aucune maladie ne serait amenée sur le trajet, et tout le monde passait la visite médicale obligatoire avant de se voir donner l'ultime ticket pour le voyage. Il en était de même pour les animaux, chevaux, bœufs, vaches et moutons qui suivraient le convoi. Jamais le jeune irlandais n'aurait imaginé qu'une organisation si colossale puisse être aussi bien coordonnée. L'homme qui dirigeait les opérations – celui là même qui avait dans un premier temps refusé de prendre les deux têtes blondes – savait ce qu'il faisait et n'en était certainement pas à son premier voyage. Bien qu'il ait encore quelques rancunes à son encontre, Sean ne pouvait que le respecter et admettre son efficacité. Si un seul homme sur terre était capable de les conduire en vie à leur destination, c'était bien lui.

Et puis, le grand jour arriva. Après les cargaisons matérielles, ce fut aux hommes, aux femmes et aux enfants de monter dans les carrioles. Certains suivraient à pieds, de temps en temps, en se relayant, ou simplement pour se détendre les jambes. Les chevaux et les bœufs qui tiraient les lourds chariots n'avanceraient pas à plus vive allure que le pas : le voyage serait long et lent, mais Sean le savait déjà. Il savait aussi qu'il pourrait être parfois appelé à monter à cheval afin de contenir les troupeaux du convoi. Quoi qu'il en soit, il était plus que prêt : il venait de passer les jours précédent à prouver qu'il n'était pas aussi jeune et frêle qu'il en avait l'air. Il était digne de confiance, et on pouvait lui assigner les mêmes tâches qu'à n'importe quel autre homme. Il ne partait pas en tant que fardeau à traîner, mais bel et bien en tant qu'acteur de l'expédition. Évidemment, il ne savait pas tout faire, il avait encore beaucoup à apprendre, comment notamment à se servir d'une arme à feu. Mais il était décidé à apprendre, comme il avait appris à survivre jusque là. C'est donc des plus déterminé qu'il aide sa sœur à grimper dans le chariot dont Monsieur Jeffries tient les rênes, avant de s'installer à son tour à ses côtés. Aucun adieu à faire, aucun regard en arrière : ce qu'ils ont laissé se trouve déjà hors de vue depuis longtemps. Leurs yeux ne contemplent rien d'autre que le paysage à venir. Le cœur léger et le sourire aux lèvres, Sean prend la main de Ciara au moment où, dans un claquement de bride et le bringuebalement d'un grand poids de chargement, les deux équidés se mettent en marche.

Leur charrette est la deuxième du deuxième quart du convoi. Un des éclaireurs, un jeune homme d'une vingtaine d'années, monte un fier mustang qui marche au pas à leurs côtés. De temps en temps, il accélérera, faisant la liaison avec les autres voyageurs et les autres éclaireurs. La première journée de voyage ne devrait normalement rencontrer aucun obstacle. Du moins, hormis la monotonie du temps qui passe lentement, de la poussière dégagée par tant de sabots foulant le sol séché de toute rosée dès le milieu de la matinée, et de ce vacarme régulier que fait tant de monde sur la plaine. Tout cela est pourtant loin d'être aussi pénible que les deux précédents longs voyages effectués par les deux jeunes Cassidy : durant le premier, où ils avaient traversé à pieds la moitié de l'Irlande, ils avaient le ventre vide ; durant le deuxième, où ils avaient traversé en bateau le grand océan Atlantique, ils étaient à fond de cale sans le moindre paysage. Et même lorsqu'ils avaient pointé leurs nez dehors, ils n'avaient rien vu d'autre qu'une immense étendue d'eau salée. Ainsi, bien que quelque peu dépréciée par le nuage de poussière qui les accompagnait, la vue était, aux yeux de Sean et Ciara, la plus belle qu'ils n'aient jamais eu l'occasion d'observer auparavant.

Pour tuer l'ennui, le grand frère donna des leçons de lecture à la plus jeune, dans le seul livre qu'ils possédaient depuis leur départ d'Irlande : la Sainte Bible. Ils subirent de temps en temps les ricanements de leur accompagnateur, lors des passages qu'Eddie Jeffries trouvait les plus ridicules ou les moins plausibles – selon ses propres critères. Parfois, il murmurait quelques ''balivernes !'' mais très vite, le regard noir de Sean le dispensa de tout commentaire additionnel. En revanche, le blondinet obtint la promesse de se voir offrir un nouveau livre dès leur arrivée ou leur passage dans quelconque lieu qui vendrait autre chose que la Bible. Ravi de son arrangement, son sourire malin fièrement affiché, le jeune homme finit par accorder une petite pause à Ciara. Mais pas trop non plus : le travail était pour lui quelque chose de primordial, et qu'elle le veuille ou non, la petite fille devait s'y plier. Toute cette histoire de préparation de la caravane les avait obligés à mettre de côté quelques temps ces exercices d'anglais, de lecture et d'écriture, et il était plus que temps de s'y remettre. Évidemment, l'ébranlement du véhicule ne prêtait guère à la pratique de l'écriture, mais en attendant, la jeune fille pouvait tout à fait s'appliquer à ceux de la lecture, du calcul mental, de l'anglais, et des quelques souvenirs d'histoire ou de géographie de son frère. On voyait bien qu'elle se conformait à contrecœur aux exigences de son aîné : elle aurait tellement préféré pouvoir courir autour des chariots, jouer, et rencontrer d'autres enfants ! Ou simplement rester là à rêver en contemplant la vaste plaine qui s'étendait devant eux... Totalement sourd et hermétique aux désirs de la plus jeune, en faisant semblant de ne pas les comprendre, Sean se disait que plus tard, elle lui en serait reconnaissante. La chance n'arrivait pas à ceux sur qui elle tombait, mais à ceux qui s'en saisissaient : si elle avait l'opportunité de pouvoir apprendre toutes ces choses, elle ne devait pas la laisser passer. Et si Ciara se révélait finalement aussi douée qu'il l'avait été dans ses études, il ferait tout pour qu'elle ne se voit pas ôter celle de les poursuivre. Et s'il fallait pour cela se montrer sévère avec elle, s'il fallait la punir ou l'en menacer pour qu'elle poursuive sa lecture, alors Sean n'hésitait pas une seconde. Qui sait combien de temps encore la vie leur permettrait d'être réunis ? Elle devait être capable, le plus vite possible, de s'en sortir sans lui. Car là aussi était l'enjeu. Et pour les mêmes raisons, l'irlandais était tout aussi intraitable avec lui-même : à la première occasion, il devrait apprendre à se servir d'une arme, à chasser, à découper la carcasse, et à user du moindre morceau à des fins utiles. Il apprenait également tout ce qu'il devait savoir sur la construction et l'entretien d'un chariot, des animaux, ou encore des vivres. Il se destinait à redevenir fermier, dans une ferme abondante d'animaux et de céréales, et il n'obtiendrait rien de tout cela sans peine. Il le savait, et il se faisait un devoir d'inculquer ces principes à sa petite sœur. Ainsi, même lorsque le soir approchait, que la fatigue se faisait sentir, et que lui non plus, n'avait plus envie de travailler, il s'obligea à continuer jusqu'à que l'éclaireur revienne au galop en hurlant que l'on allait bientôt s'arrêter pour la nuit.

Loin d'être un moment d'apaisement et de repos, l'arrêt de la caravane était un nouveau théâtre où chacun devait s'activer dans son rôle : les femmes s'adonnèrent à la cuisine, les hommes les plus forts à la mise en forme des chariots en cercle tels des remparts, les enfants les plus âgés aidaient les autres hommes au montage des tentes, tandis que Sean s'occupait des bêtes ayant été attelées durant toute cette longue première journée. Le maréchal-ferrant, observant le tout d'un œil avisé et faisant office de soigneur, donna finalement congé au jeune homme qui avait terminé le pansage du dernier cheval. La première chose qu'il fit, après avoir remercié son superviseur, fut de chercher sa petite sœur. Il sourit en voyant la jeune Ciara entourée de quelques femmes qui lui donnaient des instructions à propos de la cuisine. La blondinette semblait rayonner : elle n'avait pas eu l'occasion ces derniers jours d'être en compagnie d'autres personnes que Monsieur Jeffries et son frère, et était donc ravie de partager ces moments avec la rare gente féminine de la caravane. Qui plus est, elle apprenait à cuisiner, ce qu'elle avait toujours voulu. Sa mère était morte avant d'avoir eu l'occasion de transmettre ce savoir à sa fille. Pire encore, il n'y avait, en cette époque en Irlande, pas grand chose à cuisiner...

Laissant donc sa jeune sœur profiter de ces instants, Sean releva la tête pour chercher un endroit où il serait utile. Mais les tentes étaient montées, les troupeaux étaient calmes et rangés, et chacun, à part les femmes qui cuisinaient, semblaient s'affairer pour eux-mêmes. Les enfants jouaient – ou dormaient déjà pour les plus jeunes, certains hommes fumaient et discutaient en attendant que le repas soit prêt, et... un autre homme semblait avoir bien du mal à se dépêtrer de la toile de son chariot. D'un pas décidé, Sean se pointa alors au pied de la carriole, souriant l'air avenant.

- Vous avez besoin d'un coup de main, m'sieur ? Je suis Sean Cassidy, je voyage avec ma jeune sœur, Ciara, et Monsieur Jeffries, le charron. Si je peux vous aider...

Ayant terminé avec les formules de politesse et sa présentation, Sean n'attendit pas plus qu'un mouvement de tête de la part de son interlocuteur pour grimper à bord et évaluer le problème : une des tiges de fer s'était désolidarisée de son montant, et la toile n'était donc plus soutenue, ce qui ne rendait pas l'exercice facile. Le jeune homme sourit et empoigna la petite fugueuse.

- Je vois. Le bois a dû jouer, il fait plus sec ici qu'à Springflied, mais l'humidité du soir doit empêcher la tige de bien s'enfoncer... si vous avez un maillet...

Regardant autour de lui en même temps qu'il parlait, Sean aperçut que le voyageur avait déjà sorti sa caisse à outils, et il se saisit aussitôt de l'objet recherché. Après quelques coups donnés à des endroits bien choisis, la tige retourna docilement à son emplacement d'origine. Et pour que celle-ci ne s'échappe pas de nouveau, le jeune homme ajouta quelques chevilles d'un habile coup de poignet, et rangea les ustensiles là où il les avait pris. Il se releva et sourit à celui qui était, aux vues des objets qui parsemaient la carriole, un père de famille.

- Voilà, ça devrait tenir un moment, comme ça. Si vous avez besoin d'autre chose ou si vous voulez que Monsieur Jeffries vienne vérifier quoi que ce soit à propos de votre char, n'hésitez pas à demander.

En attendant sa réponse, un peu gêné de s'être ainsi introduit dans le chariot - qui était désormais une maison - d'un parfait inconnu, il réajusta sa casquette, un sourire amical toujours affiché sur son visage.

- post 19 octobre 2016 -
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Gema W. Thinncöen

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MessageSujet: Re: "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir."   "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir." EmptyVen 8 Nov 2024 - 20:08

Le mardi matin suivant, la petite famille au grand complet se trouvait parmi la foule qui composait dorénavant la caravane. Des hommes, des femmes, des enfants par dizaines se pressaient autour des chariots. Malgré le désordre apparent tous savaient exactement quelles étaient leurs tâches et s’exécutaient sans protestation. La troupe s’était formée au sien même de la ville, slalomant entre les immeubles et les maisons individuelles sur un bon mile, non sans contestation des habitants qui semblaient voir d’un mauvaise œil la formation d’un si grand rassemblement. Quel besoin avaient-ils eu de se retrouver ici, au cœur même de la ville ? La campagne n’était-elle pas assez grande ? Et puis, le bétail, comme ça à peine retenu sur les trottoirs où passaient des enfants ! Non mais vraiment !

De son point d’observation, Angela ne pouvait voir ni la tête, ni la queue du peloton, cependant elle pouvait tout à fait bien entendre les râleries des habitants malgré sa lacune en anglais. Pour ne pas totalement embouteiller les rues, on avait décidé de patienter en file indienne. Idée judicieuse mais qui avait aussi eu pour effet d’accentuer l’amplitude de la caravane sur la ville. Le chef du convoi prenait tout de même le temps de passer d’un chariot à l’autre pour voir si tout était fin prêt. Les migrateurs avaient la stricte interdiction de s’éloigner de leurs charrettes respectives : la caravane pouvait partir d’un instant à l’autre et alors les absents seraient perdus. Sans braver les interdits Angela, fidèle à elle-même, avait déjà pu reconnaitre les familles qui l’entouraient. Devant eux se trouvait un homme peut-être un peu aliénée qui passait son temps à compter des brebis imaginaires, et son compagnon de route, travailleur de fer, qui avait insisté pour qu’il soit pris ensemble dans le convoi ; et derrière la famille, attendait sagement une ménagerie singulière composée d’un vieillard et de deux enfants, probablement irlandais aux vues de leur accent.

Quand le chariot précédent se mit enfin à bouger, Angela regarda une dernière fois la ville, ses immeubles, ses arbres, ses pavés, ses coins et ses recoins avant de tourner le visage vers l’avant. Vers l’Ouest qui n’attendait qu’eux. Ainsi elle était certaine de garder à jamais l’image de Springfield et celle de leur départ gravée dans sa mémoire . Cérémonieusement la petite famille s’étaient tue, même les jumeaux turbulents s’étaient arrêtés pour un instant et semblait imiter leur mère. Cette dernière n’avait jamais essayé de leur enseigner l’art de l’observation, mais ils avaient finalement compris par eux-mêmes la puissance du silence. Les rares fois où leur père avait perdu patience devant eux, ils avaient toujours vu leur mère égale à elle-même, d’un calme irréprochable. A quoi bon se serait-elle révoltée, puis qu’il fallait s’accommoder de tout ? Si elle n’était pas assez puissante pour changer le monde, mieux valait passer sa vie sans se causer trop de soucis.

*

Rapidement la caravane quitta la ville et les bâtiments firent place à des prairies verdoyantes. Les arbres fruitiers se raréfiaient mais Angela pu tout de même reconnaitre quelques baies comestibles. Alors que le temps passait, la mère de famille rejoignit ses enfants à l’arrière de la carriole. Ils s’étaient assis en cercle sur les quelques cousins et couvertures qu’ils avaient pu se procurer. Les aînés lisaient ensemble un livre de conte en anglais alors que les benjamins dormaient l’un contre l’autre. Angela pensa que s’ils se reposaient maintenant ils allaient être infernaux le soir, mais elle n’eut pas le courage de les déranger. Malgré l’oscillation de la carriole, elle marcha d’un pas aisé jusqu’à Lars et Gema.

- Mama ! Kommen du neben uns hinsetzen ? commença la petite en allemand. Nous allons t'apprendre un peu d’anglais !
- Oh oui, Maman viens !


Répondant à l’appel de ses enfants par un sourire Angela s’assit à leur coté et ébouriffa les cheveux de son garçon. Elle regarda le petit livre de conte qu’elle se souvint leur avoir acheté dans un magasin d’occasion à Vienne avant de déménager en Angleterre. « Pour vous entrainer », leur avait-elle dit en leur offrant. Ils étaient encore jeunes à cette époque et comme tous enfants elle savaient qu’ils apprendraient vite et qu’ils seraient rapidement capables de lire le livre. Au fond d’elle-même, elle était fière que ce jour ses enfants lui enseignaient l’anglais sur le même livre.

*

Finalement après plusieurs heures de lecture Angela avait ait de très net progrès. Elle avait appris plusieurs mots, certain aussi inutile que difficile, tout autant pour pouvoir parler anglais que pour faire plaisir à ses enfants. Puis, Alfred et Karl, les jumeaux, s’étaient réveillés et avaient voulu se dépenser un peu à l’extérieur, mettant fin à la leçon. Le convoi avançait assez lentement pour pouvoir le suivre à pied alors les garçons s’en donnèrent à cœur-joie. Quelques hommes qui patrouillaient à cheval pestèrent que les enfants ne devraient pas être autorisé à quitter leur chariots car ils mettaient le bazar n’importe où ils passaient. La mère les laissa dire, autant parce qu’elle n’était pas sûre d’avoir bien compris que parce qu’elle ne s’en préoccupait pas.

Rapidement, le jour commença à décliner et il fallu penser à s’installer. Alors que la carriole de la famille Lewis quitta le petit sentier pour se reposer sur l’herbe, l’une des tiges en ferrailles qui maintenait la toile en place se déboita et cette dernière tomba telle une feuille morte sur les enfants. Klaus pesta immédiatement et arrêta les cheveux d’un coup de rennes. Les deux parents se retournèrent et soulevèrent la toile pour libérer leurs enfants. Les plus petits, effrayés se jetèrent dans les bras de leur mère qui les serra à son tour.

- Maman ! Pourquoi le chariot nous est tombé dessus ? demanda l’un des jumeaux en pleurnichant.
- J’ai eu peur, Alfred et moi, ajouta le second.
- Ca veut dire qu’on veut pas de nous ?
- On va devoir rentrer en Angleterre avec les méchants pas beaux qui nous aiment pas ?


D’un geste rassurant, elle leur intima le silence. Non personne n’allait rentrer en Europe et elle ne savait pas pourquoi la toile était tombé mais leur père et elle allait la réparer. Le plus important c’était qu’ils oublient les méchants d’Angleterre, mais qu’ils se souviennent qu’ici ils s’appelaient les Lewis.

*

Plusieurs heures plus tard, le couple tentait toujours de remettre leur toile en place sans comprendre d’où venait le problème. Les enfants quant à eux, étaient partis jouer avec les autres chérubins de la caravane. Lars avait d’abord voulu aider ses parents, mais son père, fier et aussi soucieux que son fils n’empire pas les choses, lui avait demandé de s’occuper des chevaux. Si le garçon était maladroit avec les objets, il était très doué avec les animaux. Calme et sensible Klaus fit remarquer qu’il avait les qualités pour assister le palefrenier.

Alors que l’heure du repas approchait, la toile n’était toujours pas remise en place. Angela se sentit coupable de ne pas être venu en aide aux autres femmes qui cuisinaient mais avoua de toute façon que le problème dont elle s’occupait été plus urgent. Finalement après plusieurs heures de galère, un jeune garçon vint leur proposer leur aide. Angela le reconnu pour être le garçon irlandais qui avait débuté la journée dans le chariot suivant le leur.

Il ne fallu pas longtemps au nouvel arrivant pour trouver le problème et le réparer. Quelques minutes à peine selon Angela. Klaus serra les dents de voir un jeune homme réussir là où il avait échoué. Sa main se plongea dans celle que sa femme qu’il serra. C’était l’une de ses habitudes quand il était frustré. Comme à sa coutume, Angela était un point d’encrage pour toute sa famille.

- Merci de ton aide, mon garçon. Si le charron a le temps je veux bien qu’il vienne jeter un coup d’œil. Histoire que la barre de se défasse plus.

Il lui offrit un sourire et ajouta, n’oubliant pas pourquoi il est là :
- Dis-moi, tu me semble encore jeune. J’ai pour projet de fonder une école la journée dans ma carriole, alors si tu es intéressé et motivé pour venir survire les cours… Je ne voudrais pas qu’il s’agisse d’une obligation vois-tu. Mais il me faudra bien un élève hormis mes propres enfants, pour commencer.

La main de Klaus quitta celle d’Angela pour venir et vint gratter le cuire chevelu au dessus de la nuque. Le père de famille faisait toujours cela quand il était inquiet.

- 28 octobre 2016 -


Dernière édition par Gema W. Thinncöen le Jeu 14 Nov 2024 - 21:17, édité 1 fois
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Caecillius




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MessageSujet: Re: "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir."   "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir." EmptyVen 8 Nov 2024 - 20:11

La proposition de Monsieur Lewis était des plus intéressante, mais c'est d'un air gêné, en se grattant derrière la tête, que Sean déclina l'invitation. Il savait, encore une fois, que son apparence physique ne jouait pas en sa faveur.

- Oh, euh, c'est une très bonne idée, mais... j'ai déjà été à l'école... Par contre, je vous enverrai ma sœur, elle sait déjà lire, écrire et compter parce que je lui ai appris, mais elle n'a jamais eu le loisir d'aller à l'école avec un vrai enseignant, ce sera parfait pour elle ! Elle apprend encore l'anglais, mais elle se débrouille pas mal. Vous verrez cela avec elle demain matin, j'imagine... Je crois que le repas est prêt, vous feriez mieux de venir.

Ainsi, dès le lendemain matin, la caravane reprit sa route, et quelques enfants supplémentaires s'entassèrent dans la roulotte des Lewis. De son côté, l'aîné des Cassidy continuait le voyage auprès du charron, avec qui il meublait la conversation avec des choses et d'autres. Parfois, il s'agissait du métier de Monsieur Jeffries, qui espérait former Sean, peut-être pour reprendre sa suite. L'irlandais n'avait rien contre, tout cela était fort intéressant, et mieux encore, des plus utiles à savoir. Il n'était simplement pas certain de vouloir en faire sa vie, surtout que pour le moment, il ne pouvait qu'étudier la théorie.

D'autres fois, les discussions entre Sean et Eddie se faisaient plus ardentes, plus passionnées, plus conflictuelles. Leurs avis divergeaient sur beaucoup de sujets, mais ils argumentaient sans la moindre animosité, et si d'aucun ne changeait généralement d'avis, ils n'en restaient pas moins amis pour autant.

Lentement mais sûrement, la caravane avançait au pas, jours après jours. Le paysage n'évoluait pas beaucoup : toujours des plaines, et l'horizon à perte de vue. Le soleil n'était pas toujours au rendez-vous, mais fort heureusement, ce n'était pas non plus le cas de la pluie.

Bientôt, les premières embûches s'invitèrent au voyage : il fallut traverser une rivière, passer par un chemin bien trop étroit, descendre ou monter quelques pentes raides... Quelques pertes furent à déplorer, mais heureusement, toutes étaient matérielles. Si chaque manœuvre difficile avait eu son lot de blessés, chacun s'était remis ou se remettrait facilement de ses blessures.

Ce jour-là, on venait à peine de passer le début de l'après-midi que les éclaireurs commandèrent de se préparer à aligner la caravane de telle façon que la tête puisse arriver en queue et ainsi installer le camp au centre pour la nuit. Ce genre de manœuvre prenait du temps, et en fonction du terrain, il n'avait pas été rare de s'arrêter plus tôt que prévu en raison de la situation des lieux qui devenait moins favorable à l'aménagement d'un tel bivouac. Seulement là, tout le monde s'étonna : ils traversaient un plateau, et d'aussi loin qu'ils pouvaient voir, rien ne laissait présager que quelques miles plus tard, ils ne pourraient pas camper. Mais les yeux des nouveaux pionniers étaient loin d'être aussi aguerris que ceux des cow-boys natifs. Ainsi, l'explication ne tarda pas, sortie tout droit de la bouche d'un des cavaliers, dont la voix et l'attitude trahissait une certaine fatigue : il avait sans-doute répété ces mêmes mots depuis la première charrette.

- Nous allons nous arrêter ici ! Nous venons d'arriver en territoire Comanche, mais n'ayez crainte ! Ils nous ont repéré depuis longtemps et avaient connaissance de notre arrivée. Nous avons pris contact, ils viendront en paix lorsque nous serons installés ! Ils viennent simplement faire du commerce, troquer des outils, des peaux, de la nourriture, des tissus, tout est bon pour échange ! Je vous demanderais en revanche de ne laisser aucune arme apparente, et de ne pas leur en échanger non plus. Nous vous donnerons des instructions plus claires à ce sujet avant qu'ils arrivent. Quoi qu'il en soit n'ayez crainte et évitez tout comportement agressif, nous n'entretenons avec eux que des relations commerciales ! Tenez-vous prêt à organiser la caravane pour le campement !

Monsieur Jeffries semblait ravi de cette nouvelle. Il conseilla déjà à Sean de mettre de côté ce qu'il y aurait de bon à échanger (autrement dit, ce dont ils n'avaient pas besoin ou était obsolète) et se voyait déjà améliorer le confort rudimentaire de la tente avec des peaux épaisses de bison sur lesquelles dormir. Ces mêmes peaux seront également bien plus efficaces pour les garder au chaud en cas de pluie, de froid ou de vent. En d'autres termes, le charron avait hâte de se débarrasser de ses babioles inutiles et de gagner en avantages. Et, puisqu'elle semblait appliquée à l'école de Monsieur Lewis, il se pourrait également que Ciara se voit offrir quelconque bijou ou bibelot typique. Enfin, si ces indiens avaient ou voulaient échanger de quoi, quelques paires de leurs mocassins pourraient également devenir une des part du butin des colons.

- post 5 novembre 2016 -
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MessageSujet: Re: "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir."   "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir." EmptyVen 8 Nov 2024 - 20:16

Le soleil, encore haut dans le ciel en ce début d’après-midi, inondait la prairie de sa lumière chatoyante. Plus l’Ouest s’approchait plus il faisait chaud. La pluie avait quelques fois été au rendez-vous mais le climat changeait belle et bien de celui qu’avait connu la famille Levi, dorénavant Lewis, en Angleterre. Là-bas la pluie était presque quotidienne ou du moins hebdomadaire. Sans être une chose à laquelle Angela avait eu du mal à s’habituer, elle avait avoué se languir de la neige lors des fêtes de fin d’année. Mais à cette époque-ci, le solstice d’été se rapprochant, il était bien inutile de penser aux beaux flocons blancs tombants derrière une vitre. Alors pour contenter ses yeux, la mère de famille passait ses journées à contempler les prairies d’un vert éblouissant. Elle s’amusait à nommer les différents arbustes qu’elle voyait. Des noms qu’elle avait appris en Autriche et dont elle ne connaissait pas de traduction. Les journées étaient belles et Angela se plaisait à conduire le chariot sur les chemins dessinés par la caravane. La plupart du temps les deux roues de bois glissaient facilement sur la terre sèche mais parfois on devait traverser un ruisseau ou un chemin accidenté. A ces moments là, les gros bras sortaient, c’était toute une aventure que de traverser un filet d’eau pas plus large qu’elle n’était grande. Il ne fallait pas que les chevaux s’enlisent ni que les roues se cassent. Souvent à ces moments là, Angela abandonnait son chariot aux mains compétentes et faisait traverser ses enfants dans la plus grande vigilance.

Mais ce jour-ci, tout était calme, tout était vert, pas un seul nuage à l’horizon ne venait déteindre le ciel bleu azur. Angela avait même réussi à faire abstraction des voix qui raisonnaient sous la tente du chariot. En effet une petite classe s’était maintenant formée au sien même de la carriole des Lewis, Klaus en professeur, et les quatre petites têtes blondes avaient été rejointes par Ciara, une jeune irlandaise dont le couple avait rencontré le frère. Le père de famille avait eu l’intelligence d’amener une vingtaine de petits cahiers de papier dont les enfants se servaient pour écrire. Les deux benjamins s’étaient d’ailleurs bien amuser à barbouiller les pages vierges de crayon avant qu’elles ne leur soient confisquées. En pleurant les petits étaient allés se réconforter auprès de leur mère à l’avant du chariot et un tour sur les puissants dos des percherons leur avait suffi pour se calmer.

Cependant à cette heure-ci, les deux garnements faisaient une sieste paisiblement emmêlés comme ils avaient l’habitude de le faire. Et à chaque fois qu’elle leur jetait un coup d’œil, le cœur d’Angela faisait un bon dans sa poitrine, elle était si fière de sa famille et du bonheur qu’elle avait réussi à construire avec Klaus. Un bonheur simple et sans mièvrerie qui correspondait bien à la petite tribu. En regardant sa progéniture, Angela avait toujours vu des enfants équilibrés et épanouis. Bien qu’elle fût loin de vivre au travers d’eux, leur joie avait toujours été sa plus grande gaieté.

Alors que la mère de famille allait reprendre la contemplation de la nature qui l’entourait, elle remarqua que les chariots qui la précédaient commençaient à se ranger sur l’herbe. Elle leva un sourcil étonné face au ciel clément et à la prairie qui s’étendait devant ses yeux. Il n’y avait aucune raison apparente pour monter le camp tout de suite. Avec son niveau en anglais Angela compris vaguement que le chef de la caravane avait prévu de rencontrer des riverains mais elle n’avait aucune idée du peuple que pouvait abriter cette prairie. Sentant l’agitation autour de sa salle de classe Klaus sortit du chariot.

- Was passiert ? demanda-t-il à sa femme.

- Je l’ignore, lui répondit-t-elle dans la même langue. Nous attendons de la visite, à ce que j’ai compris.

A son tour Klaus fronça les sourcils et sauta de sa maison roulante. D’un pas décidé il se dirigea en direction de l’un de ses camarades de voyage pour en savoir un peu plus sur les raisons d’un arrêt si tôt dans l’après-midi. Angela eu la tâche de surveiller les enfants pendant son absence. Il s’’agissait là plus d’une histoire de responsabilité vis-à-vis de Ciara que d’un réel problème de turbulence ; dans le chariot-classe les trois aînés continuaient sagement leurs exercices de grammaire alors que les deux benjamins, réveillés par l’agitation, s’étaient déjà mis à chahuter. Leur mère dû sévèrement les grondés pour qu’ils s’arrêtent jusqu’au retour de leur père. Celui-ci d’ailleurs ne tarda pas à refaire surface. Il expliqua alors la situation à la petite famille.

- Ce sont des indiens qui viennent faire du commerce. Le chef dit qu’ils échangent des outils contre des peaux de bêtes ou de la nourriture. Les enfants, allez chercher les pulls en laines trop petits des jumeaux, il y aura peu être quelques pères ou mères intéressés pour leur bébé.

Rapidement toute la petite famille sortit les bras chargés des babioles dont ils n’avaient plus besoin, comme tout un tas de casserole qu’Angela avait apportées par précaution. Bien que les diners se faisaient dans des grandes marmites collectives, elle en gardait quelques unes au cas où. Elle avait pris l’habitude d’être rejetée à cause de son nom de famille et préférait avoir de quoi faire la cuisine s’ils étaient un jour exclus de la caravane. Elle jeta un œil contemplatif à la ronde de commerçants que formait désormais leur convoi. Que d’étranges marchants ils devaient former pour les tribus indiennes ? Ils roulaient tous les jours dans le seul but de trouver à l’Ouest des petits cailloux dorés ou du moins, des jours meilleurs. Angela aurait bien ri si on lui avait dit deux ans plus tôt qu’elle vivrait dans une carriole en Amérique, sans eau courante et bien loin de la pollution des grandes villes. Ah l’Amérique ! Gigantesque, magnifique et à la portée de leurs bras. Jamais Angela n’aurait cru un jour voir de si vastes étendues d’herbes folles, des prairies verdoyantes parcourues de ruisseau. Jamais elle n’aurait cru rencontrer des indiens d’Amérique. Et pourtant elle était là, sa main logée dans le creux de celle de son mari. Finalement tout était pour le mieux.

Les premiers indigènes firent leur apparition une demi-heure après l’annonce du chef de la caravane. Tout d’abord ils ne furent qu’un minuscule point fumant à l’horizon, une infime part de la prairie avec qui ils formaient un tout. Puis, petit à petit, les formes commencèrent à se dessiner aux yeux des colons : un visage par ci, une jambe par là. Ce ne fut que bien plus tard qu’Angela remarqua les chevaux majestueux sur lesquels ils étaient montés. Un troupeau entier fonçait sur les familles au galop mais aucun d'eux ne semblait inquiets pour le moins du monde, absorbés par la beauté irréelle du tableau. A Londres Angela avait pu observer des galeries d’art ou des musées dans lesquels de telles scènes étaient représentées, maintenant elle le vivait en vrai. Alors que l’autrichienne n’était pas de celle qui s’extasiait facilement, elle était sûre que ce moment était à jamais gravé dans sa mémoire. Autour d’elle tous étaient silencieux, autant intimidés que respectueux face à l’arrivée des indiens, même les jumeaux s’étaient tus, se cachant derrière la jupe de leur mère.

La course des chevaux se ralentit au fur et à mesure qu’ils arrivaient près des colons. De près la tribu n’était que plus impressionnante, montés sur des cheveux sauvages qu’ils avaient eux-mêmes dressés. Etrangement Angela remarqua que les équidés portaient des selles et des brides comme il était courant d’en voir dans le monde occidental. Victime des expositions elle s’était toujours imaginée les indigènes mottant à cru avec pour seul point d’accroche la crinière tressée de leurs chevaux. Pourtant elle aurait bien dû y penser, si les Comanches faisaient du commerce depuis des siècles ils avaient bien dû récupérer quelques objets de la vie moderne. Bien qu’ils soient venus en amis, ils restèrent en retrait face au groupe que la colonie formait. Le chef de la caravane et son interprète furent les premiers à franchir la distance qui séparait les deux groupes. Ils discutèrent longuement dans la fébrilité de toute colonie. Si les choses se passaient mal ? semblaient craindre les visages fermés. Celui d’Angela au contraire était étrangement détendu, quoi qu’il en soit il fallait bien s’accommoder de tout.

Après une interminable discussion les marchants commencèrent à s’intéresser au troc proposer par le petit peuple de la caravane. Des chariots indiens arrièrent ensuite proposant peau de bête et confections comme monnaie d’échange. Quand plusieurs d'entre eux passèrent à coté d’Angela, cette dernière ne se priva pas de les observer de plus près. Imberbes, leurs visages étaient assez différents de ceux qu’elle avait pu croiser jusqu’ici. Elle n’aurait pu dire s’ils étaient vraiment plus larges ou si cette impression venait de leurs longs cheveux plaqués par des tresses sur leurs têtes. Des bandeaux, des chapeaux ou d’autres artifices ornaient aussi leurs chevelures. C’était très étrange que le sentiment qu’Angela ressentait en observant l’un des hommes que se tenaient devant elle, comme s’il appartenait à un genre à la fois extrêmement proche et différent d’elle. Leurs peaux brunies ne ressemblaient à aucune autre qui lui avait été donné de voir jusqu’aujourd’hui, elles n’avaient pas la blancheur de celles de son pays, ni la noirceur de celles des africains. Ces autochtones étaient encore des êtres à part. Uniques en leur genre.

Une légère pression sur sa main droite la fit stopper son observation minutieuse. Klaus la regardait d’un œil réprobateur, il devait penser qu’il n’était pas correct de scruter ainsi les gens. Angela quant-à-elle ne voyait pas ce qu’elle avait fait de mal, elle avait l’habitude d’observer tout le monde en toute circonstance. L’indien, lui, ne semblait pas avoir fait attention au petit manège. Il s’arrêta devant l’une des plumes de faisan disposées sur l’étalage des Lewis et la montra du doigt. Comprenant qu’il voulait sans doute savoir à quoi elle pouvait bien servir, Klaus sortit un encrier et un feuille vierge avant d’y inscrire son nom de la plus belle des écritures possibles. L’indigène regarda curieusement le liquide noir qui semblait s’écouler de la plume.

- Je les ai taillées moi-même, annonça fièrement le père de famille en bombant le torse. Je les ai apportées pour entrainer mes enfants à la calligraphie, mais il m’en reste beaucoup, toutes ne me seront pas utile. Je peux vous l’offrir contre l’une de vos peaux de bêtes si vous le souhaitez.

Sans dire un mot l’indien continua d’examiner la plume, pensant sans doute qu’elle était enchantée. Angela n’osa pas faire remarquer à son mari que leur potentiel troqueur n’avait que faire de ses explications car au fond il s’était autant exclamés pour lui que pour tous les colons qui l’entouraient. Il avait posé main digne sur l’épaule de son fils comme un combattant qui présente sa relève. Souriant à cette pensée Angela jeta un nouveau coup d’œil aux enfants qu’elle n’avait qu’à moitié surveillés depuis l’arrivée des indiens. Alfred et Karl étaient de toute façon cramponnés à sa jupe comme à bout de bois flottant en pleine mer. Les ainés toujours aussi sages attendaient qu’on leur donne un ordre pour s’exécuter. Même la petite Ciara ne disait rien, attendant patiemment que son professeur ne lui dise quoi faire.

- La Schule doit être finit, Schätz, lui dit Angela d’un ton doux. Je vais te raccompagner à ton grand Bruder.

Ne parlant toujours pas tout à fait correctement l’anglais, elle mélanger les mots qu’elle ne connaissait pas avec ceux allemands qu’elle avait appris dans son enfance. La petite ouvrit de grand yeux mais sembla comprendre car elle hocha la tête et fit mine de suivre.

- Attends, Maman je viens avec toi !

Gema courut rejoindre sa mère et celle qui devait être devenue son amie, tout en balançant ses boucles blondes au vent. Au fils des deux semaines que ses enfants avaient passées avec la petite irlandaise, Angela avait pu les voir se rapprocher doucement. Contrairement aux deux benjamins, Lars et Gema savaient être calmes et avaient pu l’intégrer sans difficulté. Angela était aussi fière de ce point de caractère de ses deux enfants, à la fois gentils et doux. Elle guida les fillettes au travers des caravanes à la recherche de celle des irlandais. Les indiens avaient maintenant envahi le camp en entier et il était difficile d’avancer sans être gêné par personne. Heureusement Ciara retrouva facilement son chariot le connaissant incontestablement mieux que les deux autrichiennes. Sa famille avait elle aussi étendu des babioles à échanger et des indiens se pressaient pour pouvoir tout observer. L’irlandaise accompagnée de très près par Gema, alla à la rencontre de son frère qui, au contraire du vieil homme qui les accueillait n’était pas occuper à marchander. Avant d’Angela n’est pu dire quoi que ce soit les deux petites s’étaient précipitées vers le blond et avait entamé la conversation.

- Enchanté, monsieur le frère de Ciara, le salua Gema dans un sourire. Je suis ravi de faire votre connaissance votre sœur parle beaucoup de vous, vous savez.

- Gema ! Laisse donc ce jeune homme tranquille, vint la disputer sa mère en allemand. Je suis... entschuldigung… que ma fille soit venue vous déranger.

Elle s’était adressée au garçon dans le meilleur anglais dont elle était capable. Bien qu’elle comprenne maintenant presque parfaitement la langue utilisée par la colonie, elle avait toujours du mal à s’exprimer. Angela attrapa la main de sa fille en sentant le rouge lui monter aux joues. Aurait-elle honte ?

- 22 novembre 2016 -


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MessageSujet: Re: "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir."   "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir." EmptyVen 8 Nov 2024 - 20:19

Après tout le temps qu'il fallut pour avancer et faire rejoindre toute la caravane afin d'établir le campement, chacun s'organisa à sa manière pour trouver de quoi troquer quelques bagatelles aux indiens. Quelques uns montraient un peu d'anxiété quant à cette rencontre. Il y en avait peut-être un peu dans l'esprit de Sean également, mais ce n'était pas du tout l'émotion qui dominait en lui. Il avait une certaine appréhension, certes, c'est toujours le cas face à l'inconnu. Mais il ressentait surtout une intense excitation. Lui qui avait fait tout ce chemin pour rejoindre l'ouest, quoi de plus symbolique qu'une rencontre avec les indiens ! Ayant du mal à se focaliser sur ce qu'il faisait, et ne cachant rien de son enthousiasme, il fut rabroué quelques fois par Monsieur Jeffries, qui savait exactement ce qu'il cherchait et ce qu'il échangerait. Ainsi, il indiquait au jeune homme quelles caisses et quels objets il devait sortir, avec plus ou moins de précaution. Se faisant, l'irlandais ne cessait de poser des questions à propos de ces Comanches, ce qui finit par agacer Eddie. Il ne savait rien de tout cela, et il était occupé à autre chose.

Une fois quelques vaisselles, outils, vêtements, bijoux sans valeur et même une lampe à huile sortis et bien mis en évidence pour d'éventuels nouveaux acquéreurs, Sean put prendre congé de la mauvaise humeur du charron. Ce dernier semblait d'ailleurs dans de meilleures dispositions maintenant que tout était prêt. Quand les indiens arrivèrent, Sean en était ébahit. Beaucoup de ces hommes avaient été décrits comme des sauvages, des guerriers assoiffés de sang, des monstres. De nature optimiste et fervent chrétien, le jeune homme n'avait jamais pu se résoudre à croire ces histoires. L'homme blanc était de la même trempe, tout du moins. Et puis, en tant qu'irlandais dont les terres furent envahies par les anglais, n'était-il pas mieux placé qu'un autre pour comprendre ce que pouvaient ressentir ces hommes rouges ? Surtout qu'à bien y regarder, certes, leur peau n'était pas la même que le celte, ce n'était pas non plus des basanés du sud, et encore moins des noirs africains, mais ce n'était pas non plus vraiment rouge. Tout comme ces pauvres esclaves qui n'avaient pas non plus la peau vraiment noire. D'ailleurs, lui-même n'était pas à ce point blanc. Il restait là, à observer, ces hommes du nouveau monde, dont la civilisation devait être aussi ancienne que la leur, vêtus étrangement (quoi que lui aussi devait paraitre habillé bizarrement pour eux), et parlant une langue des plus exotique. N'ayant aucune chance de comprendre quoi que ce soit, l'irlandais entreprit tout de même d'essayer d'en retenir la phonétique.

Bientôt, le tuteur des Cassidy demanda à Sean de rester en retrait : il avait besoin d'air pour bien négocier. Ce vieux bougonnant n'était pas toujours très commode, mais néanmoins fort sympathique et humain, c'est pourquoi l'irlandais ne lui en tint pas rigueur et se mit en quête d'une nouvelle occupation. Celle-ci ne tarda pas, puisque sa petite sœur, Ciara, revint de la caravane des écoliers, accompagnée de la femme du professeur et de l'une de leur fille, qui se montra très avenante. De toute évidence, trop avenante pour sa mère, en tout cas. Sean sourit, d'abord à la jeune fille, puis à sa mère.

- Oh, je vous en prie Madame Lewis, il n'y a pas de mal. Je suis ravi de vous rencontrer enfin, Ciara m'a souvent parlé de vous. Je crois qu'elle en apprend autant avec vous qu'avec votre mari, et quoi qu'il en soit, elle est vraiment contente de ce que vous faites pour elle. Je vous en suis très reconnaissant.

Affairé à faire de fructueux échanges avec plusieurs groupes d'indiens en même temps, mais néanmoins poli, Monsieur Jeffries salua vaguement les deux autrichiennes avant de retourner à ses affaires. Dans le chariot, s'entassaient doucement peaux de bisons, mocassins et autres manufactures locales, presque toujours au nombre de trois. Le remarquant sans rien dire, Sean ne pouvait que ressentir de l'affection pour Eddie. Il y avait de cela quelques semaines, ils ne se connaissaient pas, et voilà que maintenant, cet homme se démenait en marchandage avec ses propres affaires pour en faire de nouvelles aux deux irlandais, comme s'ils formaient une vraie famille. À les regarder de l'extérieur, on aurait dit un vieil oncle (il était trop jeune pour être grand-père et de toute évidence il n'était pas leur père) prenant soin de ses neveu et nièce.

- Je suis désolé pour l'attitude de Monsieur Jeffries, mais comme vous le voyez, il est en pleine affaire ! Je suppose que votre mari fait de même de son côté. Peut-être vous voudriez vous joindre à nous ce soir au moment du dîner ? On sera plus au calme pour discuter et faire connaissance. J'aimerais d'ailleurs rencontrer Monsieur Lewis, pour connaître les progrès et les difficultés de Ciara, si jamais il y a besoin de l'aider un peu. Alors, qu'en dites-vous ?

- 26 novembre 2016 -
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MessageSujet: Re: "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir."   "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir." EmptyVen 8 Nov 2024 - 20:21


Le chariot que les Irlandais habitaient devait être bien spacieux pour contenir toute les choses qu’ils proposé à la vente. Les outils par dizaines, des babioles et même quelques bijoux s’étendaient sur une table de fortune formée d’une planche de bois posée sur deux tréteaux. Derrière eux, un homme était affairé à commercer avec les indigènes. Et il fallait souligner qu’il maîtrisait le commerce d’une main de maître ! En le voyant faire Angela avait pensé qu’il avait dû être épicier dans une autre vie. D’ailleurs l’homme ressemblait beaucoup à M. Hubel, le primeur de son village d’enfance qui menait son commerce avec beaucoup plus de force que son ménage ; car, plusieurs fois la jeune Angela avait croisé Mme Hubel faisant cocu son mari derrière l’église. C’était assez rare que la mère de famille repense à son village d’enfance, en réalité elle n’avait pas dû le faire depuis des années. Etrangement elle n’était nullement nostalgique.

Rapidement son esprit se retourna entièrement sur le semblant de conversation qu’elle menait avec le frère de Ciara. Ses pensées avaient cette faculté de partir dans plusieurs directions. Ayant peu l’habitude de partager ses sentiments, elle n’avait jamais eu conscience qu’il s’agissait d’une particularité. Si on lui avait demandé de déterminer ce que pensait le frère de Ciara en lui parlant, elle aurait bien pu dire que son esprit était passionné par la petite fleur jaune qui se trouvait à ses pieds, comme il aurait pu en être normal pour elle. Quoi qu’il en soit, la mère de famille avait parfaitement écouté le jeune Irlandais. Elle rougit d’ailleurs en entendant les compliments de la petite Ciara à son égard. Il est vrai qu’elle s’était elle aussi bien rapprochée de la petite Irlandaise : comme toutes les femmes et filles de la caravane elles devaient accomplir les tâches domestiques et rapidement Angela avait pris la petite sous son aile. Souvent elles avaient préparé le dîner ensemble, épluchant des centaines de pommes de terre, inlassablement. Petit à petit, la jeune élève de son mari était un peu devenue comme un autre membre à part entière de la famille. Il fallait dire que le clame et la sérénité de Ciara rappeler très bien à Angela ceux de ses propres aînés. Finalement les deux Irlandais semblaient être des gens bien fréquentable et le semblant d’oncle qui les accompagnait devait être plus grognon que méchant.

- Ma famille et moi seriez enchantées de nous joindre à vous pour le dîner. Comprenons que je dois demander à mon mari…

Angela chercha, embêtée les mots anglais appropriés pour faire comprendre ce qu’elle voulait dire au frère de Ciara. Elle avait encore de gros progrès à faire si elle espérait un jour s’intégrer à la communauté de la caravane. Et même si elle ne le voulait pas forcement, n’ayant jamais eu d’amis et n’en comprenant pas le besoin, elle ne désirait pas voir une nouvelle fois sa famille rejetée à cause de sa propre insociabilité. Elle jeta un coup d’œil à Gema qui se tenait sagement entre Ciara et elle et qui semblait elle aussi attendre qu’elle continue.

- Peux-tu leur dire que je m’excuse mais que mon anglais n’est pas assez correct pour être entendu, lui demanda-t-elle en allemand, confuse. Que j’imagine que ton père sera ravi de rencontrer la famille de la plus prometteuse de ses élèves et que je leur souhaite une très bonne fin d’après-midi.

Alors que Gema s’exécutait, un sourire enfantin aux lèvres, Angela tenta de masquer sa gêne. Ce n’était pas dans ses habitudes de ressentir une certaine honte à son égard, pas plus que ne l’était de se ridiculiser devant ses enfants. La mère de famille identifia que ce sentiment provenait de la présence de sa fille au-delà de celle que quiconque, car il était naturel pour un enfant de prendre ses parents en modèle et Angela était, à cet instant précis, bien loin d’être un exemple pour sa progéniture.

- A tout à l’heure, Schätz salua-t-elle Ciara avant de tourner les talons.

Elle avançait si vite en direction de son propre chariot que Gema dut courir après elle pour la rattraper. Aussitôt à sa hauteur la petite blondinette attrapa la main de sa mère dans un geste réconfortant. Et à cet instant alors qu’Angela aimait déjà ses enfants d’un amour inconditionnel, son cœur se remplit d’une joyeuse tendresse à leur égard. Finalement tout était pour le mieux. Quand, ensembles, mère et fille arrivèrent à leur carriole deux petits monstres leur sautèrent dans les bras. Karl et Alfred, en manque de leur mère partie quelques minutes plus tôt, avaient couru dans leur direction dès qu’ils avaient pu apercevoir leurs visages familiers. Toujours aussi hyperactifs, ils avaient rapidement demandé à retrouver la terre ferme et chahutaient dorénavant avec leur sœur jouant le rôle d’un méchant loup dévoreur d’enfants. Les rires et les cris firent sourire Angela. On disait qu’il était toujours plus agréable d’entendre les jeux de ses propres enfants que ceux des autres.

Klaus releva la tête vers sa femme en entendant lui aussi les cris. Il était en plein marché avec plusieurs indiens qui semblaient rudement intéresser par sa plume magique. Mais il s’agissait malheureusement là, plus d’une curiosité désintéressée que d’un réel engouement pour le produit. Angela compta que son mari avait tout de même fait l’acquisition de quatre peaux de bête bien chaudes et de deux paires de mocassins de grande taille. Angela jeta un coup d’œil à ses chaussures rapiécées et se dit tout de même qu’elle avait bien besoin d’une nouvelle paire de souliers. Quand il avait quittés l’Angleterre, les deux parents avaient conservé leur argent pour acheter toutes choses utiles à leurs enfants, oubliant leur propre besoins par la même occasion. Mais Klaus était un homme bien, il savait toujours comment rattraper les choses.

Angela passa le reste de son après-midi dans sa carriole avec ses quatre enfants. Elle s’était assise sur une peau de bête non loin des jumeaux qui étaient étrangement calmes. Dans sa main droite, elle tenait une brosse et dans l’autre les cheveux d’un blond soyeux de Gema. La petite avait insisté pour que sa mère la coiffe comme lorsqu’elles se trouvaient toujours à Londres. Ici personne ne regardait vraiment la façon dont été habillée une petite fille mais Angela avait compris que sa fille la voulait pour une fois pour elle toute seule.

- Maman, tu m’écoutes toujours, n’est-ce pas ?

Gema faisait depuis plus d’une heure la lecture en anglais à sa mère. Cette dernière avait pour consigne de faire savoir chaque mot qu’elle ne connaissait pas pour que sa fille puisse lui traduire. Lars, l’ainé, lui avait fait remarqué que rien ne l’obligée à exécuter les ordres d’une enfant mais Angela le faisait de bon cœur. Ce qui plaisait à ses enfants lui plaisait aussi.

- Bien sûr que je t’écoute Gema et ceci depuis une bonne heure au moins, répondit-elle en riant. N’es-tu pas fatiguée de lire autant ?

- Oh mais, non Maman ! J’adore lire, tout comme toi !

Angela pris l’une des boucles blondes de sa fille et l’enroula autour de son doigt, pensive. Depuis combien de temps n’avait-elle pas lu un livre autre qu’un conte pour enfant ? Petite elle avait adoré se plonger dans des romans. Ainsi elle pouvait échapper à sa vie dans le petit village Dellach en Autriche. A Vienne et à Londres, elle avait continué à lire souvent, mais depuis qu’elle avait quitté la terre des Anglais elle n’avait simplement plus de livre. En y pensant ainsi, les papiers encrés semblaient lui manquer. Cependant, tout devait être pour le mieux alors peut-être était-il temps pour elle de se mettre à apprendre l’anglais dans les seuls livres d’enfants qui lui restaient ?

A cet instant Klaus passa la tête dans l’entrebâillement de la toile qui recouvrait le chariot.
- Mesdames vous êtes attendues à la confection du diner, dit-il sur le ton d’un employé de maison pour amuser la galerie. Et vous Monsieur Lars le palefrenier vous fait appelé.

Plus d’une heure plus tard la petite famille s’était retrouvée pour le diner. Se rappelant sa rencontre de l’après-midi Angela chercha les Irlandais du regard. Ils se trouvaient en compagnie de leur oncle sur un tronc d’arbre. La nuit été tombée depuis plus d’une trentaine de minutes maintenant et la lune, entièrement caché ce jour-là, n’illuminaient pas les lieux. Seul le grand feu au milieu du camp apportait une lumière orangée sur les visages bouffis. L’image rappela à Angela certains tableaux qu’elle avait pu observer à Vienne ou à Londres. Jamais elle n’aurait pu penser l’avoir un jour sous les yeux. Etrangement elle aimerait bien le voir en vrai. Tout était pour le mieux.

- En reconduisant Ciara chez elle, j’ai vu son frère qui nous a invités à se joindre à lui pour le diner, annonça Angela à son mari, ayant totalement oublié de le faire plus tôt.

- Et bien, je serais ravi de parler avec lui autour d’un repas.

Ainsi la petite famille se dirigea vers les Irlandais d’un pas serein.

- post 4 janvier 2017 -


Dernière édition par Gema W. Thinncöen le Jeu 14 Nov 2024 - 21:38, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir."   "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir." EmptyVen 8 Nov 2024 - 20:24

Une fois les Lewis partis, les deux irlandais s'affairèrent auprès de Monsieur Jeffries, dont l'humeur s'améliorait au fur et à mesure qu'il troquait ce qu'il voulait contre ce dont il ne voulait plus. Sous le regard légèrement désapprobateur de l'aîné Cassidy, mais à sa plus grande joie, il réussit même à se débarrasser de quelques icônes religieuses contre des bibelots indiens. Pour le charron, ce n'avait été qu'un échanges de babioles, mais Sean avait soupiré, se disant que dans ses prochaines prières, il demanderait au Saigneur de pardonner à ce vieux bourru et de guider les Comanches vers une utilisation pieuse de leurs nouvelles saintes acquisitions. Pour autant, le jeune garçon n'était pas un dévot pur et dur. Il croyait sincèrement en Dieu, et se comportait du mieux qu'il le pouvait en bon catholique, mais certains péchés ne lui faisaient pas peur. Cependant, il y avait des choses sacrées, et les icônes en faisaient partie. Si le Bon Dieu avait été mortel, il se serait retourné dans sa tombe.

Dès que Jeffries fut satisfait et qu'il eût obtenu tout ce qu'il voulait, et tout ce qu'il pensait qui feraient plaisir aux enfants, il réquisitionna ces derniers pour l'aider à tout ranger. Il faut dire que même s'ils n'étaient que trois dans la carriole et avaient donc beaucoup plus de place que certaines autres familles ou groupes de gens associés, Eddie était quelqu'un de très organisé, ce qui leur permettait de gagner encore plus d'espace, et de confort. Le prix à payer pour cela était quelques réprimandes au sujet de l'ordre dans lequel charger ceci ou cela, et écoper de quelques caisses supplémentaires à déranger pour que tout soit enfin comme il le fallait. Pour gagner de la place au sol, les caisses les plus lourdes et contenant le moins de choses fragiles recouvraient la totalité de la plateforme. Il fallait être un peu plus acrobate pour y grimper, mais cela en valait la peine. Elles étaient rangées de façon à ce que les outils importants restent à portée de main, mais aussi et surtout à ce que le poids soit correctement réparti. Elles étaient également recouvertes de draps et couvertures pour laisser l'illusion que la roulotte était presque vide. Cela la rendait presque luxueuse. À vrai dire, depuis qu'ils avaient posé le pied sur les terres d'Amérique, tout n'était qu'opulence pour les deux Cassidy. Ils avaient désormais des chaussures, des vêtements de rechanges, et mangeaient à leur faim trois fois par jour. Monsieur Jeffries avait beau avoir son caractère, il était le Messie pour eux.

La routine habituelle s'enchaîna rapidement, une fois que les indiens étaient repartis, laissant les deux parties satisfaites de leurs échanges. Ciara partit trottinant et sifflotant vers les grandes marmites où les femmes commençaient à faire la cuisine, un curieux collier autour du cou. Eddie attrapa sa caisse à outils pour faire le tour des réparations dans toute la caravane, et Sean se dirigea vers le paddock improvisé pour s'occuper des chevaux. En vérité, il n'y avait plus grand chose à faire : certains garçons, qui n'avaient que faire du commerce de leurs parents, s'en étaient déjà chargé. L'irlandais en fut désolé et s'excusa auprès de chacun, mais il n'avait pas été le seul, et aucun n'en voulait aux autres. Comme tout, c'était à charge de revanche. Ainsi, vu qu'il leur restait du temps à étancher avant le repas, les garçons purent s'adonner à certains jeux.

La plupart du temps, le meneur de la troupe des jeunes hommes de la caravane, un certain James, qui était né ici tout comme ses parents, leur apprenait la vie à l'américaine. Il n'était pas le seul à être américain dans la bande, mais très peu étaient ceux qui connaissaient l'ouest. Si maintenant tous savaient jouer au baseball, et la plupart user d'un six coups, seul James était capable de leur apprendre à manier le lasso. Et en tant que garçon de ferme, Sean écoutait tous les conseils qu'il pouvait à ce propos. Il arrivait désormais à attraper n'importe quelle cible fixe, et la plupart de ses amis en mouvement. Mais un homme court moins vite qu'un veau ou qu'un cheval, et l'occasion de s'entraîner sur ces animaux n'était pas encore venue, malgré la promesse du vacher de la caravane. Cela ne décourageait pas le jeune Cassidy pour autant : il était patient, bien qu'impatient de s'y mettre pour de vrai. Parce que l'ultime épreuve serait d'y arriver tout en chevauchant, et il était bien décidé à la réussir.

L'heure du repas approchant, Sean prit congé de ses amis et retourna vers sa roulotte. Bientôt, Monsieur Lewis et une bonne partie de ses enfants les rejoignirent. Ils entamèrent une discussion, cordiale mais légère, en attendant Madame Lewis et les jeunes filles, ramenant chacune marmite de ragoût, soupe et fromage, en nombre de portions égales aux membres de la famille.

- Ah ! s'exclama Monsieur Jeffries. L'odeur de ce potage me met l'eau à la bouche depuis des heures ! Installez-vous, Madame et Mesdemoiselles, nous n'attendions plus que vous ! Et la nourriture, cela va sans dire.

Pour l'occasion, le charron avait sorti quelques caisses - les moins lourdes et les plus accessibles - en guise de table, et les avait même recouvertes d'un drap. Depuis leur départ, c'était la première fois qu'il s'était soucié de l'apparence du repas : habituellement, ils s'installaient simplement par terre autour du feu, mangeant parfois sans couverts, voir directement dans le plat. Mais il n'était pas dénué de savoir vivre, et, caravane ou non, il se devait de recevoir ses invités du mieux qu'il le pouvait.

- 28 janvier 2017 -
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MessageSujet: Re: "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir."   "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir." EmptyVen 8 Nov 2024 - 20:27

Comme à leur habitude, il était du travail des femmes d’apporter le dîner aux différentes familles. Alors qu’elle tenait dans ses mains une casserole encore chaude, Angela se surpris à penser que les Gros Bras se seraient surement transformés en sauvage s’il n’y avait pas eu les mains délicates de leurs homologues féminines dans la colonie. Il est vrai que la mère de famille avait bien plus de travail que ce qu’elle ne ce l’était imaginé - non pas qu’elle s’en plaignait, Angela aimait se rendre utile ; mais elle avait plus eu l’habitude de n’avoir comme tâches que l’éducation de ses enfants et l’observation assidue du monde qui l’entourait -. Quoi qu’il en fut, avec son accord ou sans il aurait bien fallu que quelqu’un ramenât le potage à la table des Irlandais, qui avaient gentiment invité Angela et sa famille à diner autour du même feu. Bien sûr les convenances auraient voulu que les hôtes se chargent d’apporter le repas par eux mêmes, cependant Angela commençait doucement à comprendre ce qui signifiait une vie en communauté telle que celle de leur colonie. Finalement chaque pionnier partageait tous avec son voisin pour mieux avancer ensemble, unis comme un seul Homme. La mère de famille voyait cela comme une très belle idée, une promesse de paix et de solidarité dans laquelle elle avait hâte de se sentir complètement incluse. Malheureusement jusqu’alors la langue avait toujours été une barrière qu’elle m’avait su dépasser pour s’intégrer. Elle faisait couramment des fautes graves de conjugaison ou de grammaire malgré qu’elle n’ait que peut de soucis à comprendre l’anglais. Klaus, son mari, disait que son effacement naturel, souvent pris à tord pour de la timidité, était surement la cause de ce blocage : elle ne rencontrait que peu d’occasion de pratiquer. A vrai dire, la journée elle était à l’avant de sa charrette pour diriger les cheveux pendant que son mari faisait classe à l’arrière – et cela lui convenait pour le mieux ! – et le soir, elle ne se mélangeait que rarement aux conversations des autres femmes, trop pipelettes à son goût, lors de la confection des repas. C’était dans cette mesure que s’était formé un semblant d’amitié et de respect entre l’Autrichienne et sa protégée irlandaise : la petite avait toujours mille et une histoires intéressantes à raconter, pas de celles qui ne parlent que des commérages ou des soucis d’adultes mais les contes enfantins remplis d’une imagination débordante. Oui définitivement Angela appréciait la petite tête blonde, alors elle était plus que ravie de partager son repas avec elle.

Quand elle arriva au niveau de l’endroit qui devait lui servir lieu de repas, l’Autrichienne fut surprise de voir une table soigneusement dressée avec une nappe blanche qui s’avait par beaucoup à envier à celle qui s’était un jour trouver dans sa propre salle à manger – du moins pour ce qu’elle arrivait à s’en souvenir - . L’Homme qui servait d’oncle au deux enfants Cassidy avait sorti un beau service de table qui devait être l’un des derniers encore utilisés dans la colonie. Bien sûr au début Angela avait continué de monter une table bien dressée pour sa famille mais rapidement il avait paru plus simple de piquer directement dans le plat. Ses aînés savaient déjà de toute façon se servir de couvert et les deux plus petits n’en avaient jamais compris l’utilité même lorsque les Lewis habitaient en Angleterre. Angela désespérait un peu de voir un jour ses jumeaux se tenir correctement, enfin à quoi bon dans une caravane ?

La lumière jaunâtre du feu donnait à la table nappée de blanc une couleur étrange comme un ciel orangé de fin de journée. Angela se perdit dans la contemplation du paysage qui s’offrait à ses yeux alors qu’elle tenait toujours la marmite du diner entre ses mains. L’atmosphère lui rappelait ces soirées annuelles de fête nationale qu’elle avait connues à Dellach et où tous les habitants se ressemblaient pour une fois. En fait toutes les soirées de la colonie leur ressemblaient mais celle-ci un peu plus que les autres. La mère de famille compta sept couverts disposés soigneusement sur la table, un pour chaque membres de la famille Cassidy et de la sienne – les petits avaient déjà eu leur collation pour que le diner puisse s’éterniser sans que cela n’affectent leur temps de sommeil -.

Se rappelant qu’elle se tenait toujours immobile devant leur petite troupe, Angela se mis en mouvement pour et posa la marmite non loin du feu pour que la nourriture reste chaude. Elle sourit à Ciara et Gema qui l’aidèrent à faire tenir le plat sur le sol caillouteux. Les deux petites lui retournèrent plus que chaleureusement, elles devaient être ravies de pouvoir manger ensemble. Il est vrai qu’elle était devenue amies maintenant qu’elles passaient leurs journées dans la carriole-classe des Lewis et il fallait dire que ni l’une ni l’autre n’étaient difficile à vivre. Alors qu’Angela s’apprêtait à servir avec une grande délicatesse la première portion, Monsieur Jeffries s’exclama qu’il avait bien faim.

- Je ne peux que vous comprendre, renchérit Klaus dans un rire à demi gras en se tenant le ventre. J’ai passé l’heure précédente à dans la carriole du chef pour l’aider à mettre en ordre ses papiers officiels et ses quartiers sont à proximité des cuisines. Ah, je ne sais pas comment font nos femmes pour passer plusieurs heures auprès de ses senteurs délicieuses sans en manger ! Nous seront forcés un jour d’admettre qu’elles ont une plus grande détermination que nous autres.

Angela écouta son mari parler dans la langue qu’elle ne maitrisait pas encore tout à fait, tout en servant les hommes en premier. Elle aimait l’entendre partir dans des débats comme il le faisait souvent sur le Vieux Continent, avec toujours cette pointe d’humour qui était sa marque de fabrique. Quand il avait commencé en tant que journaliste, il s’était vite épris des sujets sensibles, polémiques qu’il aimait mener au bout de leur paradoxe. C’était ainsi qu’il avait pu se faire un nom jusqu’à tenir sa propre imprimerie à Londres. Il y sortait un journal plus libre qu’engagé mais qu’il faisait toujours avec amour. Angela avait pensé à tous les chamboulements que serait leur nouvelle vie sur le sol américain et sa plus grande peur concernant son mari était l’ennui qu’il allait vite ressentir s’il ne trouvait personne avec qui débattre de l’opinion publique.

- Et bien ça, je ne vous le fait pas dire, rétorqua rapidement Monsieur Jeffries ce qui ne sembla pas déplaire à l’Autrichien. On peut dire ce qu'on veut, et être gouvernés par autant de bonshommes qu'il en est nécessaire, mais une fois chacun chez soi, on sait tous qui commande réellement.

Klaus ria à la boutade de celui qui pourrait certainement devenir l’un de ses amis avant de lancer un regard amoureux à sa femme. Il l’aimait c’était certain et depuis quelques années maintenant il avait compris que ces sentiments étaient réciproques. En réalité il en avait toujours beaucoup moins douté que la principale intéressée qui n’avait, dans leur début, jamais eu à faire à ce genre de chose.

Alors qu’elle remplit l’assiette de Sean, Angela l’entendit rire lui aussi. Soudain elle se rappela de sa présence non pas comme un enfant mais comme le jeune homme qu’il était aujourd’hui. En lui tendant son assiette la mère de famille lui sourit agréablement. Les deux hommes étaient déjà partis dans un débat passionné sur la place de la femme dans la société qui ne tarderait surement pas de venir inévitablement à un autre sujet tout aussi polémique. A chaque fois que Monsieur Jeffries avait un langage un peu trop familier à son goût, Ciara jetait un petit regard outré dans sa direction mais celui-ci ne semblait pas y faire attention. Lars et Gemma quand à eux, bien qu’ils furent les derniers à être servis, semblaient ravis que leur père s’entende si bien avec le tuteur de leur nouvelle amie. Surement pensaient-ils déjà, comme Angela, que ces diners pourraient devenir plus récurrents.

Quand elle eut enfin fini de servir tout le monde, l’Autrichienne sentit sont dos la tirer, à cause de la position accroupie qu’elle tenait depuis déjà longtemps. Ses cheveux bruns en mèches s’étaient collés à son front poisseux à force de rester au dessus de la marmite chaude et ses vêtements étaient déjà tous froissés de la journée, cependant elle souriait à pleine dents. Elle était heureuse de ce diner voilà tout, heureuse de voir les membres de sa famille contents, heureuse de les savoir en sécurité à cet instant, avec un bon diner qu’elle avait elle-même préparé. Elle s’assit à son tour et s’essuya le font du revers de sa manche gauche, l’autre étant occupée à tenir son assiette. Quelques cheveux mouillés restèrent collé à son front mais tant qu’ils ne lui gâchaient pas la vue, elle n’en avait que faire. Pendant un moment elle écouta la joute verbale des deux hommes auxquels le jeune Sean se joignait quelque fois. Puis, se sentant exclue de la conversation par l’emploi de termes trop compliqués pour elle et qui ne devaient sans doute rien être d’autre que des jurons elle décida discuter avec le jeune Irlandais qui se trouvait à sa gauche.

- Votre sœur parle souvent de l’Irlande comme un très joli pays, dit-elle dans une phrase qui devait mélanger l’anglais et l’allemand. On dit que les plaines y sont vertes et dépourvues d’arbre, est-ce vrai ?

Comme Angela aimait converser sur son pays natal, elle pensa très naturellement que Sean devait surement apprécier aussi cet échange et jamais elle ne se dit que ce sujet devait rappeler aux deux enfants des moments bien tristes de leur histoire, malgré qu’elle ait entendu parler le la grande famine qui sévissait là-bas. Ils étaient si jeunes… Comment pouvait-elle imaginer la misère qu’ils avaient du connaitre ?
- 27 février 2017 -


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MessageSujet: Re: "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir."   "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir." EmptyVen 8 Nov 2024 - 20:29

Sitôt les femmes arrivées avec le repas, et le dîner à peine entamé, les enfants se turent au profit d'un délicieux ragoût, et les deux hommes, écoutés par l'oreille discrète mais attentive d'un prétendant au titre d'adulte, partirent dans de grandes discussions, dont les sujets s'enchaînaient aussi rapidement que leurs éclats de rire, leurs accords et leurs désaccords. Parfois, quand l'occasion s'y prêtait ou qu'il souhaitait ajouter quelque chose, Sean n'hésitait pas à participer, bien qu'il préférait simplement les écouter bavarder.

La douceur du soir s'installait tranquillement, une légère brise chaude venant du sud faisant remuer les herbes hautes qui entouraient la caravane. Un paysage si vaste, dont les couleurs de prairies avoisinaient plus le jaune ou le brun que le vert, ne rappelait en rien son Irlande natale, qui lui semblait aussi éloignée par les miles que dans le temps... et pourtant ! Ils ne l'avaient quittée il y avait de cela quelques mois à peine ! Cela lui en paraissait des années... Au moment où la mère de famille, Angela, l'évoqua à l'aîné des Cassidy, il n'y pensait même pas, ce fut une surprise pour lui. Il resta quelques instants interdit, un sourire énigmatique se dessinant sur son visage. À l'évocation d'un simple nom, que de souvenirs rejaillissaient en lui. Les bons, comme les mauvais, mais où les mauvais semblaient tellement loin qu'ils en devenaient presque supportables, à défaut d'être agréables.

- C'est très vert, oui, commença-t-il en élargissant son sourire. Rien à voir avec les plaines d'Amérique, de toute évidence. En plus, nous venons du Comté de Clare, il parait que c'est là que l'herbe d'Irlande y est la plus verte. Pour ce qui est des arbres... Nous avons quelques forêts, mais c'est vrai qu'il n'y en a pas beaucoup comparé à ce qu'on voit ici. Je ne saurai dire s'il y en avait plus autrefois. On se chauffe à la tourbière, je ne crois pas que les arbres aient disparu pour ce genre de raison. Le sol par chez nous n'est peut-être pas assez riche pour de si grands végétaux... Avant le mildiou, il n'y avait que la pomme de terre qui poussait correctement. On fait surtout de l'élevage, sur cette île, mais avec les famines successives...

Sean soupira en baissant les yeux, avant de se redresser pour laisser place à un visage radieux, se resservant d'une bonne louche de ragoût.

- Enfin ! Ça paraît si loin maintenant... Parfois, je regrette qu'on ait dû partir, c'est comme si les Anglais avaient gagné en nous obligeant à quitter nos terres... mais je crois qu'on va être bien, ici. Et vous, c'était comment, chez vous ? Ciara m'a dit que vous aviez vécu en Angleterre, mais vous venez d'Autriche, c'est bien ça ? Je connais pas trop les pays du continent... Enfin, j'ai été à l'école et je connais ma géographie, mais culturellement parlant, je ne sais pas tellement ce qu'il s'y passe. C'était quel genre de choix, de venir en Amérique ?

L'irlandais avait conscience de l'indiscrétion de sa question. Après tout, la quasi totalité de la caravane était composée de migrants de première, maximum deuxième génération, mais personne ne posait de question à ce sujet. Tous venaient d'ailleurs, ou avait connu un parent, ou un grand-parent, venu de la vieille Europe, comme ils l'appelaient. Mais surtout, ici, tout le monde avait une deuxième chance, et c'était la raison principale pour laquelle peu étaient enclins à parler de leur vies d'avant. Soit parce que, comme les Cassidy, ils avaient fui la misère, ou soit parce que, simplement, ils étaient là pour tirer un trait sur leur passé. Si cette seconde option attirait le jeune irlandais, il était pour autant inenvisageable pour lui d'oublier sa culture et ses racines, ni même la langue gaélique. De toute façon, on ne leur posait pas de question à ce sujet : leur accent parlait pour eux. Il n'y avait pas trente-six raisons d'arriver d'Irlande en cette période. Si les motifs de quitter le continent européen ne manquaient pas, chacun avait sa propre histoire, à oublier plus qu'à cacher.

Sean réajusta sa casquette de tweed, aussi typiquement irlandaise qu'il l'était tout entier, et enfonça une bonne cuillerée de ragoût dans sa bouche.

- Vous n'êtes pas obligée de répondre, rassura-t-il son interlocutrice une fois qu'il ait avalé un morceau de viande bouillie, mais c'est juste que je serai ravi d'en apprendre plus sur votre pays. L'Europe a beau être dans un triste état, c'est tout de même là-bas qu'on était chez-nous.

- 8 mars 2017 -
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MessageSujet: Re: "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir."   "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir." EmptyVen 8 Nov 2024 - 20:33

Etrangement Angela compris à peu près tout ce que lui dit l’Irlandais. Pour une fois il fallait dire qu’elle était réellement intéressée par la conversation qu’elle tenait avec lui. L’Irlande si verte si pure, lui semblait à la fois si naturelle et si fantastique. Elle avait entendu de la part de Ciara mille et une histoires sur les leprechauns, petites créatures farceuses du folklore irlandais, qu’elles lui semblaient presque réelles. Elle n’avait aucun mal à imaginer leurs petits chapeaux verts et leurs chaudrons d’or aux pieds des arcs-en-ciel. Décidément les contes et légendes des iles européennes étaient bien moins moralisateurs que La Fille du Danube et les autres contes que l’Autrichienne avait pu entendre dans sa propre enfance. Les montagnes et les forêts sombres semblaient bien plus enclines à inspirer des histoires de terreur que les folles herbes vertes. Moins d’endroit où le Mal pouvait se cacher surement. Angela se rappela que chaque dimanche le prêtre leur prêchait de ne pas s’enfoncer trop loin dans la forêt qui délimitait les bordures nord et sud de Dellach car les mauvais esprits pouvaient s’y promener. De toute façon les sentiers étaient bien trop vallonnés pour que n’importe lequel des villageois ne s’y hasarde.

O Dellach. Plus Angela regardait les plaines américaines d’un brun jaunâtre plus elle se rendait compte que son Autriche natale, sa famille, ses racines étaient loin. Même si elle n’avait jamais réussi à être proche des deux membres de sa fratrie ni même de ses parents, ils étaient de tout même ses liens du sang les plus proches après ses enfants. Quand elle regardait Lars et Gema qui riait avec leur amie irlandaise elle n’arrivait pas à les imaginer éloignés loin de l’autre. Ils ne devaient pas se rendre compte de la chance qu’ils avaient de s’entendre si bien : l’unité faisait la force comme on dit. A vrai dire Angela était assez fière de l’harmonie qui régnait dans sa famille, après tout c’était bien Klaus et elle qui devaient avoir institué ce climat. Puis, ses pensées dérivèrent inévitablement sur les jumeaux Alfred et Karl qui dormaient non loin de là dans la charrette des Lewis et leur naissance en Angleterre. Angela aurait menti si elle avait dit que le fait qu’ils ne connaissent jamais l’Autriche ne la chagrinait pas un peu - on ne se débarrasse surement pas rapidement d’un sentiment patriotique -. Enfin quoi s’il en soit, tout devait être pour le mieux alors il était surement préférable qu’ils s’attachent plutôt à leur nouveau pays, les Etats-Unis d’Amérique.

Finalement après un long silence Angela consentit à répondre à la question que l’Irlandais lui avait posée. Non pas que cette dernière la mettait mal à l’aise de quelques sortes, mais elle s’était simplement perdue dans ses pensées comme à son habitude.

- Ne vous en faites pas, répliqua-elle dans un anglais approximatif. Répondre à vos questions m’ennuie le moins le monde. J’aime parler de l’Autriche s’était aussi un très beau pays vous savez.

Pour être franche, Angela n’aurait su dire quels mots elle avait dits en anglais et quels autres elle avait prononcés en allemand. Quand elle tourna le visage vers son interlocuteur, il sembla un peu perturbé par sa façon de parler mais ne fit aucune remarque alors elle continua.

- Le départ d’Angleterre était plus une nécessité qu’un choix. Enfin, nous aurions pu partir ailleurs, rester, même, à nos risques et périls, mon village d’enfance nous aurait surement accueillis non sans grimaces mais Klaus a toujours été curieux dans l’âme. Jamais il n’aurait pu continuer son travail de journaliste dans une si petite communauté, tout le monde connait les potins avant même que les choses n’arrivent, vous savez. Alors l’Amérique. Pourquoi pas l’Amérique après tout ? Ici seul le travail compte. On ne juge pas sur les origines. Oui, l’Amérique, la liberté, la terre inexplorée, l’aventure. Peut-être que d’ici quelques semaines nous aurons déchanté mais comment ne pas être optimiste sur l’avenir quand le voyage a aussi bien commencé que le notre ?

Angela s’estimait vraiment heureuse et chanceuse de leurs conditions de voyage. Partis depuis quelques semaines maintenant ils n’avaient jamais rencontré de groupuscules agressifs, seulement de braves Comanches avec qui ils venaient de commercer. La mère de famille en vint à rêver d’un avenir pacifiste entre Peaux Rouges et Visages Pales où chacun aurait apporté à l’autre son savoir et son aide. Peut-être Lars serait-il l’un des premiers à participer à cette paix durable – les rêves ne sont jamais trop grands pour ses enfants - . Cependant, malgré la beauté de leur terre d’accueil Angela ne put s’empêcher de repenser à sa douce Autriche en se rappelant le sentiment patriotique qui avait animé le visage de l’ainé des Cassidy en parlant de l’Irlande. Comment pouvait-elle le raconter fidèlement ce à quoi son village ressemblait ? Le bruit des fenêtres qui s’ouvrent. Celui des coucous de jour, relayés par les hiboux une fois la nuit tombée.

- Connaissez-vous les knödels ? demanda-t-elle sans transition comme elle avait l’habitude de le faire. Et bien l’Autriche a ce goût là. Cette odeur aussi, quand ils sortent du four et sont encore chauds. L’Autriche est un knödel et les knödels sont l’Autriche ; je ne vois pas comment mieux décrire.

Sans même tournée la tête, elle vit le visage dubitatif de son interlocuteur. Alors il ne devait pas connaitre les knödels. Angela consenti donc à expliciter le fond de sa pensée.

- Les knödels sont de petites quenelles de pomme-de-terre qu’on mange très souvent en Autriche. La région d’où je viens se trouve au Sud proche de la frontière avec l’Italie et elle est très vallonnée. Mais sa particularité est d’avoir des montagnes presque parallèles les unes aux autres alors on dit souvent qu’elle ressemble à des knödels dans le four, eux aussi alignés et dont la forme cylindrique fait ressortir des creux et des bosses. Vous avez aussi ces sortes de plats, si vieux qu’ils sont devenus une tradition ?

Elle ne laissa pas à l'Irlandais le temps de répondre et enchaîna directement :
- Près de Dellach, mon village, il y avait aussi de très grandes et vastes forêts qui recouvrent tous les francs de montagne. Malheureusement même si le vert des végétaux pourrait paraître attrayant les bêtes qui y rodaient, le sont beaucoup moins...

Et rapidement ses pensées dérivèrent sur les vieilles histoires de loups mangeurs d'Hommes qui fleurissaient dans son village. Décidément reparler de son enfance, semblait avoir rendu à Angela toute sa vivacité d'esprit enfantine.
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- post 14 mars 2017 -


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MessageSujet: Re: "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir."   "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir." EmptyVen 8 Nov 2024 - 20:38

Sean ne pouvait s'empêcher de sourire avec un air de béatitude en écoutant parler Angela. Il n'avait jamais connu les montagnes, car bien que vallonnée, l'Irlande n'avait rien de plus haut qu'une colline de mille mètres de hauteur. C'était déjà beaucoup pour lui... Il était bien plus expérimenté en matière de falaises et d'oiseaux marins qu'en montagne. Pour autant, il trouvait magnifiques celles qui se dessinaient à l'horizon depuis voilà déjà plusieurs semaines. Inébranlables, inatteignables, elles avaient quelque chose de divin. Il avait hâte de les contempler de plus près, comme si cela le rapprocherait un peu plus du Paradis.
Le jeune homme n'avait également aucune idée de ce que pouvaient être les knödels, mais il s'imaginait pouvoir les sentir d'ici. En revanche, son sourire s'effaça un peu lorsque son interlocutrice l'interrogea sur les spécialités culinaires de son île. Il fronça les sourcils, essayant de se rappeler la dernière fois qu'il en avait mangé. Quelques mois plus tôt, il se serait damné pour en avoir rien qu'une petite cuillère.

- Ces dernières années en Irlande, on cuisinait surtout des semelles et de la soupe aux cailloux, commença-t-il en tentant de faire de l'humour malgré la pointe d'amertume tant cela fut réel pour lui et l'était encore pour tous ceux restés outre-Atlantique.

Il inspira profondément pour afficher un nouveau sourire et se reprendre :

- Notre spécialité nationale, c'est le stew. C'est un genre de ragoût un peu similaire à celui-ci, il indiqua la casserole d'un coup de menton, mais avec du mouton, et bien entendu des pommes de terre, avec quelques carottes et des oignons. Enfin, c'est une potée, quoi... Parfois il est fait avec du bœuf, mais dans ce cas, la viande est généralement marinée dans la Guinness, une bière de Dublin. Et puis, sinon, étant donné que l'Irlande est une île, on a aussi du poisson, souvent de la morue, qu'on fait frire et qu'on sert avec des pommes de terre.

Se rappelant de la faim, et se demandant encore comment ils avaient réussi à arriver jusque là maintenant qu'ils avaient leur trois repas par jour, Sean se tut. Il se rappelait sa famille, ses amis, ceux qui étaient morts, ceux qui avaient fui... et son père. Pourraient-ils seulement être réunis un jour ? La rancœur était passée, il ne lui en voulait plus. Il le plaignait, même. Il lui avait pardonné d'avoir préféré la prison et son bol de porridge quotidien plutôt que de voir succomber ses enfants un à un. Mais son père lui pardonnerait-il d'avoir emmené sa petite sœur à l'autre bout du monde ? S'ils arrivent à destination sans plus d'embûches que ce qu'ils avaient trouvé depuis le début du voyage, peut-être. Mais la route était encore longue et périlleuse, et Sean ne se pardonnerait jamais s'il arrivait quoi que ce soit à Ciara.

La conversation reprit, et continua, enchaînant sur le tout et le rien, le passé et l'avenir, les enfants et l'adulte qu'il serait bientôt - bien qu'il s'estimait déjà l'être. Dans le reste du campement, les bruits s'estompaient, au profit du calme de la nuit. Quelques ronflements se faisaient entendre, les plus jeunes de la tablée commençaient eux aussi à s'endormir. Tous convinrent qu'il était temps pour eux de se mettre au lit. Les plus grands débarrassèrent la table en mettant la vaisselle de côté pour le lendemain matin, et dès que tout fut rangé, trouver le sommeil ne fut pas difficile pour les deux Cassidy et leur tuteur.

Si le lendemain, une journée radieuse et ensoleillé enjoliva leur bonne humeur malgré un terrain plus compliqué, le surlendemain vit arriver des trombes d'eau diluviennes et ils ne purent pas avancer autant qu'il l'aurait fallut. Bientôt, le ciel menaçant ne s'apaisant pas, les plus faibles de la caravane, les enfants et les personnes âgées, tombèrent malades. Le froid et l'humidité s'insinuaient dans les moindres recoins des chariots, ne facilitant pas les convalescences. Imperturbable, Sean s'assurait que sa petite sœur soit suffisamment couverte et à l'abri, se réjouissant que cette pluie leur permettait de ne plus respirer cette affreuse poussière. Évidemment, la boue compliquait les choses pour le convoi. En plus de le ralentir, les incidents se multipliaient : les chargements les plus lourds s'embourbaient facilement, les animaux de traits se fatiguaient rapidement, et la mauvaise humeur gagnait de plus en plus de monde. Pour éviter cela au maximum dans son entourage, Sean chantait gaiement tout ce qu'il connaissait, ou bien se mettait à raconter des histoires, avec l'intonation et les gestes qui n'avaient rien à envier à un comédien professionnel. La morosité était d'autant plus d'actualité que toute cette mauvaise météo annulaient systématiquement les veillées dansantes du soir, où l'on rit, s'amuse et se défoule. Non, depuis que le temps était aux averses, chacun restait dans son coin, à l'abri du chariot ou d'une tente humide montée dans des conditions difficiles.

Quand les nuages se dissipèrent enfin, les ennuis de s'en furent pas avec pour autant. Les animaux secs, c'était le retour de la poussière due à leur présence. Les pollens s'en mêlaient à nouveau, joie du printemps. Mais la boue n'était pas encore sèche, et on continuait de s'embourber et de prendre du retard. Sean essayait de voir le positif des choses : le soleil était de retour, et la vue resplendissante avec.

Un soir, une fois la caravane arrêtée, les ventres repus et les festivités terminées, au moment de se mettre au lit, le jeune irlandais s'inquiéta d'un grondement continu qu'il n'avait pas encore remarqué.

- Qu'est-ce que c'est que ça ? Vous entendez ? On dirait comme un orage, mais... J'espère que ce n'est pas ça, il a l'air terrible !

- Je crois que c'est le Mississippi, interrompit fièrement Ciara, qui continua sous le regard interloqué de son frère. C'est Monsieur Lewis qui nous en a parlé à l'école aujourd'hui. C'est une très grande rivière, un affluent d'un fleuve encore plus grand qui s'appelle le Missouri. On devrait le traverser bientôt ! Il parait que ça va être une véritable aventure !

- C'est l'inverse, reprit Eddie Jeffries avec un sourire paternel. C'est le Missouri que nous allons traverser, et il est l'affluent du Mississippi. On va devoir le remonter pendant un jour ou deux avant de trouver un passage que nous pourrons emprunter avec la caravane. Avec toutes les pluies qu'il y a eu ces derniers temps, cela risque d'être très dangereux. Traverser un si grand fleuve l'est toujours, mais plus les eaux sont fortes et abondantes... Enfin, ne vous inquiétez pas, dormez les enfants, je suis sûr que nos accompagnateurs savent très bien ce qu'ils font.

Le lendemain en fin d'après-midi, ils arrivèrent effectivement aux abords du grand Missouri. Des hommes se chargèrent de trouver un coin propice en eau calme où se laver et faire la vaisselle, pour la joie des enfants qui y jouèrent et s'y attardèrent jusqu'à que le soleil décline. Pendant quelques jours ensuite, la caravane longea le fleuve jusqu'à qu'enfin, vers midi, les éclaireurs revinrent, indiquant qu'ils avaient trouvé un lieu de passage idéal. Le convoi l'atteignit trois heures plus tard, et le reste de l'après-midi fut consacrée aux préparatifs pour le lendemain. Il faudrait au moins la journée pour le traverser.

- 29 avril 2017 -
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MessageSujet: Re: "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir."   "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir." EmptyVen 8 Nov 2024 - 20:40

L'homme s'approchait de Joseph. Il le connaissait bien, c'était un bon gars. Incapable de toucher une cible mouvante à trois cents pas, mais il ne souffrait d'aucune compétition lorsqu'il s'agissait de manier un lasso. Arrivé à sa hauteur, il lui transmettait les consignes à faire remonter tout le long du reste de la caravane :

- On passe demain. Y'a des remous alors gaffe aux gamins !

Le canadien hochait la tête en signe d'acquiescement et les deux cavaliers faisaient faire volte-face à leur monture, l'un remontant au-devant du convoi alors que l'autre se préparait à le descendre. Il n'avait pas besoin de plus d'explications ; ce n'était pas la première fois qu'il faisait ce genre de travail et il savait parfaitement ce qu'on attendait de lui. Dans le premier chariot se trouvait une famille avec bien trop d'enfants au goût du trappeur. Chaque enfant signifiait son lot de bruit, de besoins et de problèmes. Mais il savait également que tout le monde n'était pas prêt à vivre trois mois dans une tente au milieu des bois avec pour seule compagnie les ours et les écureuils. Au final il comprenait cette famille qui avait l'air heureuse. Après tout sa propre cousine était morte de la fièvre a dix ans… Alors qu'il passait à côté du chariot familial pour leur donner les consignes de la traversée du lendemain, deux petits enfants jaillirent de derrière la bâche et s'enfuirent rejoindre d'autres gamins ; faisant peur au cheval de l'éclaireur, qui pourtant n'en était pas à son premier voyage. Joseph le calmait rapidement et retrouvait son sourire habituel. Il ne pouvait pas vraiment en vouloir aux jumeaux de se défouler un peu après le temps abominable des derniers jours. Il se tournait ensuite vers la femme d'une trentaine d'année qui devait être leur mère et lui transmettait le message :

- Ils sont plus vifs que des écureuils ces deux-là ! Faites gaffe, on passe l'Missouri demain et à part les poissons y'a rien qui traverse à la nage. Que tout l'monde reste dans le chariot jusqu'à être à bonne distance du fleuve.

Il lançait un sourire à un jeune accordéoniste assit à l'arrière et avançait vers le second chariot où il savait qu'il se trouvait d'autres enfants. Des Irlandais s'il avait bien compris, un frère et sa sœur qui voyageaient avec le charron. L'Irlande est une île, mais il se doutait bien que les deux enfants n'avaient pas traversés l'océan à la nage ; et pour peu qu'ils soient de l'intérieur des terres ils n'avaient peut-être jamais appris à nager. Il se plaçait à la hauteur du conducteur qu'il saluait brièvement avant de s'adresser à la tête blonde qui se cachait sous une casquette juste à côté :

- Hé p'tiot ! On traverse demain, alors à moins qu'toi et ta sœur ne veuillent r'tourner à Springfield à la nage, j'vous conseille de rester dans l'chariot et de pas en bouger avant d'avoir atteint l'autre rive !

Joseph n'en rajoutait pas plus et se dirigeait vers le reste de la caravane, qui pour une fois était à l'arrêt. Le nuage de poussière qui indiquait constamment leur position n'était donc plus présent et c'était une bonne chose : tous allaient pouvoir profiter d'un peu d'air frais avant l'épreuve du lendemain. Sans être défaitiste, il savait que la traversée n'allait pas se passer comme prévu. Comme à chaque fois d'ailleurs, mais il fallait que les gens aient confiance pour que cela se déroule de la meilleure façon possible. Le message est répété à chaque chariot, même à ceux qui n'avaient pas d'enfants à bord. Il fallait impérativement que tout le monde soit au courant des consignes. Le plus dur était de paraître calme. De tout le voyage, les traversées de fleuves comptaient parmi les obstacles les plus éprouvants mais il fallait au contraire montrer que les accompagnateurs de la caravane savaient ce qu'ils faisaient. C'était d'ailleurs le cas, mais personne ne devait douter d'eux. Une journée, se disait Joseph. Une journée et ensuite on reprendra nos habitudes…
Faire passer le mot lui prenait une bonne partie du reste de l'après-midi. Une fois sa tâche effectuée, il repartait en direction de la tête du convoi en gardant un œil attentif sur les alentours lorsqu'une drôle de scène captait son attention. Les enfants de cette partie du long serpent de chariots étaient tous en train de jouer ensemble, malgré le fait que bien peu venaient du même endroit. Il reconnaissait au milieu les deux qui avaient faits peur à son cheval plus tôt. Il ne comprenait pas un mot de ce qu'ils racontaient, mais vu les consonnances de leur parler ils devaient être Prussiens. Ou quelque chose dans le genre. Non loin, il distinguait également le jeune irlandais qu'il avait vu au début et qui gardait un œil attentif sur sa sœur qui s'était mêlée au groupe. Joseph s'approchait du garçon et arrêtait sa monture à la hauteur du blondinet en lui souriant.

- On dirait un puma à l'affut comme t'es ! Elle va pas s'barrer tu sais, et puis même si ça arrive on est là pour la retrouver. Des Irlandais sauvages y'en a pas beaucoup dans ces plaines alors ils sont faciles à suivre. T'façon une ablette comme toi irait pas bien loin tout seul à sa recherche. T'as quel âge d'ailleurs ? Douze ans ?

- 15 mai 2017 -
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Caecillius




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MessageSujet: Re: "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir."   "Mieux vaut se perdre que de ne jamais partir." EmptyVen 8 Nov 2024 - 20:43

C'était une soirée ordinaire, plutôt calme, presque insouciante. La plupart des voyageurs le savaient pourtant : le lendemain, seulement quelques centaines de mètres seraient parcourus, mais la journée entière serait nécessaire pour cela. Ce sera dangereux, plus dangereux que tout les ruisseaux traversés jusque là. On pourrait perdre du matériel, des animaux... et même pire. Tout le monde avait été prévenu ; seuls les hommes à partir d'un certain gabarit pourront mettre pied à terre, ou plutôt pieds dans l'eau, pour faire traverser, un par un, les chariots. Avec son physique de garçon de quatorze ans, il était hors de question que Sean traverse le Missouri à pieds, ni même à cheval. Bien qu'encore une fois un peu vexé dans son amour-propre du fait qu'il avait plusieurs années de plus que ce qu'il en avait l'air, il comprenait cette fois que son âge n'avait rien à voir là-dedans.

Après avoir effectué leurs corvées quotidiennes, avoir bien accroché tout ce qui pouvait l'être dans le chariot en prévision du lendemain et préparé les affaires pour la nuit, les deux jeunes irlandais prirent du bon temps. Ciara s'éloigna un peu pour jouer avec les autres enfants, et Sean, gardant un œil sur sa sœur, avait reprit goût à la lecture, grâce à un livre que Monsieur Lewis lui avait prêté. Les éclaireurs, eux, étaient encore à cheval, sans doute pour régler encore quelques bricoles d'un côté et de l'autre des rives du Missouri, ou faire leur ronde habituelle. Les indiens, les brigands, le fleuve, les ours... à en croire les uns et les autres, absolument tout dans cette partie du monde voulait leur mort. Et pourtant, ils y allaient quand-même. Avec succès, l'espéraient-ils tous. La réussite de cette entreprise dépendait bien évidemment de ses accompagnateurs, qui servaient de bien plus que de simples guides. Sean les respectait profondément pour cela, et pour leurs connaissances sur l'environnement américain... tout ce que lui découvrait seulement. Du moins... c'était sans compter sur ce que venait de dire celui qui venait de s'arrêter à sa hauteur. Perplexe, un sourcil relevé, l'irlandais se mit debout, la bouche entr'ouverte, réfléchissant à ce par quoi il allait commencer. De quoi il se mêlait, d'abord ? Et puis c'est quoi un puma ? Non, non, ça il le demanderait à Monsieur Jeffries, il n'allait tout de même pas montrer son ignorance à un personnage osant l'attaquer ainsi sur... est-ce qu'il vient de le traiter de gamin, là ?

- Je suis bien plus âgé et solide que j'en ai l'air. Vous vous prenez pour un dur, et je veux bien croire que vous savez vous débrouiller dans ces plaines que je vois pour la première fois de ma vie, mais vous savez pourquoi on ne trouve pas d'irlandais aussi gras que vous ? Parce qu'on les bouffe !

Sean fixait l'éclaireur d'un regard défiant toute détermination. Il n'était peut-être pas un de ces cow-boy arrogant, mais il avait survécu à la famine, à la perte des trois-quart de sa famille, à la traversée de l'Atlantique après celle, à pied, de son pays natal, et il comptait bien survivre à celle, en chariot, de son pays d'adoption. Et ce n'était pas un natif qui se prenait pour un dur qui allait lui faire la leçon.

- 15 mai 2017 -
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